L’heure du retour au pays des réfugiés syriens aura-t-elle sonné ?

Anwarpress FR mardi 14 janvier 2025 - 17:11
Le 8 décembre 2024, la chute du régime de Bachar al-Assad a marqué une étape décisive dans l’histoire contemporaine du Moyen-Orient. Cette transition politique en Syrie a rapidement suscité des réactions au sein de l’Union européenne, où plusieurs responsables ont proposé de «suspendre» les procédures d’asile en cours pour les ressortissants syriens. Selon eux, cette décision se justifierait par un «changement de la situation intérieure» qui ouvrirait la voie à un éventuel retour des réfugiés dans leur pays d’origine.

Le Maroc doit-il agir de la même façon? En effet et bien que géographiquement éloigné des principaux flux migratoires syriens, près de 5.680 Syriens vivent actuellement au Maroc, principalement dans des zones urbaines comme Rabat, Casablanca et Tanger, selon des chiffres datant de juin 2024 de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En pratique, ces Syriens bénéficient d’un statut temporaire grâce à la collaboration entre le HCR et les autorités marocaines.

Pour le professeur émérite et membre du Comité des Nations unies des droits économiques, sociaux et culturels, Mohammed Amarti, « cette réaction, bien que compréhensible dans une perspective de gestion des migrations, soulève des questions complexes, tant sur le plan juridique qu’éthique ». « L’empressement à reconsidérer la protection accordée aux réfugiés syriens révèle un dilemme profond : comment concilier les obligations des Etats en matière de droits humains avec les pressions politiques internes et les préoccupations liées à la souveraineté nationale?», note-t-il.

Les obligations juridiques des Etats face à la transition syrienne

A ce propos, il rappelle que « depuis 2011, des millions de Syriens ont fui leur pays, cherchant refuge à travers le monde pour échapper aux violences armées, aux persécutions et aux violations systématiques des droits humains. Ces déplacements massifs ont conduit des Etats, notamment européens, à leur accorder une protection internationale fondée sur des cadres juridiques solides, tels que la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et le principe de non-refoulement. « L’article 33 de cette Convention interdit aux Etats de renvoyer une personne vers un pays où elle risquerait d’être persécutée. Cette obligation est renforcée par d’autres instruments internationaux, comme la Convention contre la torture de 1984, qui protège contre le refoulement vers des territoires où des traitements inhumains ou dégradants pourraient être infligés», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : «Dans le cas syrien, la protection accordée repose sur l’évaluation des risques encourus par les réfugiés dans leur pays d’origine. Pour envisager une cessation de cette protection, il est impératif de démontrer que les changements en Syrie sont fondamentaux, durables et irréversibles, et qu’ils éliminent les causes initiales des persécutions.

La précipitation européenne : une approche prématurée et risquée

Notre interlocuteur soutient que « si la chute du régime Assad marque une rupture politique majeure, les implications sécuritaires, sociales et économiques pour la Syrie restent hautement incertaines. « Trois éléments clés doivent être évalués avant toute décision concernant les réfugiés, souligne-t-il. D’abord les garanties institutionnelles, à savoir si le nouveau gouvernement syrien dispose d’un cadre juridique et institutionnel à même de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens et si les institutions judiciaires sont  indépendantes et efficaces. Ensuite, la sécurité nationale et locale. Cela signifie savoir si la violence a cessé de manière définitive dans toutes les régions du pays et si les infrastructures vitales, telles que les écoles et les hôpitaux, sont  fonctionnelles pour accueillir le retour des populations. Et dernièrement, la  justice transitionnelle et la réconciliation nationale. Autrement dit, existe-t-il des mécanismes pour traiter les violations passées des droits humains, favoriser la réintégration des réfugiés et instaurer un climat de confiance entre les citoyens et les autorités ? En l’absence de réponses claires et positives à ces questions, toute tentative de retour forcé des réfugiés syriens serait prématurée et mettrait leur vie en danger ».

Les motivations politiques derrière les annonces

Les appels à suspendre les demandes d’asile des Syriens s’inscrivent dans un contexte de montée des discours populistes en Europe, note le Pr Mohammed Amarti. Il explique que « la gestion des flux migratoires est devenue un enjeu central dans de nombreux pays, où les gouvernements cherchent à répondre à des pressions internes en adoptant des politiques restrictives ».

Cependant, précise-t-il, une telle approche risque de porter atteinte aux principes fondamentaux du droit international. « En agissant précipitamment, les Etats membres de l’UE pourraient violer le principe de non-refoulement ; accentuer la vulnérabilité des réfugiés, notamment ceux qui n’ont pas encore achevé leurs démarches administratives et  déstabiliser davantage la région en favorisant des retours non préparés et non coordonnés », prévoit-il. Et d’ajouter : « De plus, il convient de souligner que l’Union européenne a négligé le mécanisme de protection temporaire, prévu par le droit européen, pour faire face aux crises migratoires de grande ampleur. Cet outil aurait permis une gestion plus harmonieuse et respectueuse des droits des réfugiés lors des pics d’arrivée en 2015-2016.

Vers une politique responsable et équilibrée

Face à ce dilemme, le Pr Mohammed Amarti estime qu’une réponse européenne responsable devrait reposer sur plusieurs principes, à savoir une évaluation approfondie de la situation syrienne. Les Etats membres doivent s’appuyer sur des analyses indépendantes pour déterminer si les conditions sécuritaires et politiques en Syrie sont propices à un retour sûr et digne des réfugiés. Il faut également renforcer les mécanismes de protection.  Les pays de l’UE devraient garantir un accès équitable et transparent aux procédures d’asile pour les Syriens dont les demandes sont en cours.

Sur un autre registre, il appelle à la promotion des retours volontaires et assistés. Selon lui, lorsque les conditions seront réunies, les réfugiés syriens devraient être encouragés à retourner volontairement dans leur pays, avec un soutien logistique et financier adéquat. Une coopération internationale s’impose également.  L’Union européenne doit travailler avec les agences onusiennes et les organisations humanitaires pour accompagner la reconstruction de la Syrie et créer les conditions nécessaires à un retour durable des réfugiés.

« La chute d’Assad marque une opportunité pour la Syrie de tourner la page d’un régime autoritaire, mais les défis restent immenses. Dans ce contexte, les décisions prises par l’Union européenne concernant les réfugiés syriens auront des conséquences profondes, non seulement sur les millions de personnes directement concernées, mais aussi sur l’avenir des politiques migratoires internationales », précise le Pr Mohammed Amarti. Et de conclure : «Adopter une approche précipitée, dictée par des considérations politiques à court terme, risquerait de compromettre la sécurité des réfugiés et d’affaiblir le système international de protection. A l’inverse, une politique prudente et fondée sur les droits humains pourrait servir d’exemple pour relever les défis humanitaires et promouvoir une solution durable à la crise syrienne».

Hassan Bentaleb


Suivez les dernières actualités d'Anwarpress sur Google News Suivez les dernières actualités d'Anwarpress sur WhatsApp Suivez les dernières actualités d'Anwarpress sur Telegram

Laisser un commentaire

1000 / 1000 (Nombre de caractères restants) .

Conditions de publication : Les commentaires ne doivent pas être à caractère diffamatoire ou dénigrant à l'égard de l'auteur, des personnes, des sacralités, des religions ou de Dieu. Ils ne doivent pas non plus comporter des insultes ou des propos incitant à la haine et à la discrimination.

Commentaires

0

Articles Liés

mardi 14 janvier 2025 - 15:08

Comment le Maroc redéfinit les standards du tourisme

mardi 14 janvier 2025 - 14:30

Célébration du Nouvel An amazigh : Un événement majeur reflétant la Haute sollicitude Royale envers la culture et le patrimoine amazighs

mardi 14 janvier 2025 - 14:30

Il y a 82 ans, la Conférence d'Anfa augurait l'indépendance du Maroc et son leadership international

mardi 14 janvier 2025 - 14:30

Révision des listes électorales générales