Cette performance a permis d’élever la contribution du secteur à 7,1% du PIB et de créer plus de 550.000 emplois directs et indirects. Le gouvernement a salué ces chiffres, les considérant comme un succès de la stratégie 2023-2026, qui a atteint ses objectifs deux ans avant la date prévue.
Cependant, se réjouir de ces seuls chiffres occulte plusieurs aspects essentiels qui reflètent la réalité du secteur. Par exemple, les Marocains résidant à l’étranger représentent une part importante des visiteurs, atteignant 8,6 millions, ce qui met en lumière une dépendance marquée du secteur envers cette catégorie. A titre de comparaison, le tourisme contribue à hauteur de 12% du PIB en Turquie, soulignant ainsi la nécessité pour le Maroc d’accroître la part du secteur pour atteindre des niveaux similaires à ceux des pays concurrents.
Par ailleurs, le rôle du tourisme intérieur dans ces résultats n’a pas été suffisamment mis en lumière, malgré son importance pour renforcer la durabilité du secteur et garantir des revenus stables, indépendamment des fluctuations saisonnières ou des conditions extérieures. De plus, ces chiffres ne reflètent pas les disparités significatives entre les grandes villes comme Marrakech, Casablanca, Fès et Tanger, qui captent la majeure partie des flux touristiques, et les régions reculées qui regorgent de richesses naturelles et culturelles, mais souffrent d’un manque d’infrastructures et de services de base, à l’instar de la province de Chefchaouen.
Se baser sur le nombre de touristes entrants comme indicateur pour évaluer le succès des politiques touristiques revient à vouloir cacher le soleil avec un tamis. Ces chiffres ne traduisent pas les déficits structurels évidents du secteur, qui se manifestent par des infrastructures insuffisantes, un manque de coordination entre les acteurs, ainsi qu’une absence de services touristiques innovants et compétitifs. Il est à noter que l’Espagne a réussi à transformer les zones rurales reculées en destinations touristiques prospères grâce à l’amélioration des infrastructures et à un soutien gouvernemental aux petits projets touristiques, un modèle dont le Maroc pourrait s’inspirer.
Le secteur touristique au Maroc : entre réalité et perspectives de développement durable
• Une forte dépendance aux Marocains résidant à l’étranger (MRE)
En 2024, environ 8,6 millions de Marocains résidant à l’étranger ont visité le Maroc, mettant en évidence une dépendance importante à cette catégorie, contre seulement 8,8 millions de touristes étrangers. Les marchés cibles restent traditionnels et limités, reposant largement sur les touristes européens, tandis que des marchés prometteurs comme l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique demeurent insuffisamment exploités.
Le défi majeur ne réside pas uniquement dans la diversification des marchés, mais également dans la réponse aux besoins croissants exprimés par la diaspora marocaine. Cette catégorie constitue un levier économique important pour le secteur touristique, mais elle nécessite des services adaptés à ses attentes, notamment l’amélioration de la qualité des hébergements, la simplification des formalités de déplacement, et le renforcement des infrastructures correspondant à sa culture et à ses besoins. Le gouvernement pourrait lancer des initiatives telles que le programme « Ambassadeur du Tourisme Marocain », encourageant les membres de la diaspora à promouvoir les destinations marocaines auprès de leurs connaissances à l’étranger.
• Des infrastructures insuffisantes
De nombreuses régions dotées d’un fort potentiel touristique, comme Ouarzazate et Chefchaouen, souffrent d’un déficit en termes de moyens de transport et de réseaux routiers, impactant ainsi l’accès à ces destinations et limitant, par conséquent, la valorisation de la diversité des richesses naturelles et culturelles du pays.
Développer les infrastructures ferroviaires et connecter les régions reculées aux principaux centres touristiques constituent une solution efficace pour renforcer les flux touristiques. L’exemple de l’Espagne parait à cet effet très édifiant. Ce pays qui présente beaucoup de similitudes avec le nôtre, a réussi à transformer des zones rurales en destinations prospères.
• Une capacité d’accueil touristique insuffisante
La capacité d’accueil des infrastructures touristiques reste nettement insuffisante, en particulier dans les zones reculées. L’exonération de la TVA pour le secteur pourrait être une mesure audacieuse afin d’alléger le fardeau financier des investisseurs et les inciter à construire davantage d’hôtels et d’infrastructures touristiques.
• Une exploitation limitée des ressources naturelles et culturelles
Le Maroc dispose d’un patrimoine naturel et culturel riche comprenant des sites historiques uniques. Toutefois, l’exploitation de ces ressources reste traditionnelle. L’adoption de technologies telles que la réalité virtuelle et des applications intelligentes pour offrir une expérience interactive pourrait attirer de nouvelles catégories de touristes en quête d’expériences uniques.
• Renforcer la durabilité et l’innovation
Le développement du secteur touristique doit s’accompagner de politiques favorisant la durabilité. Parmi lesquelles on pourrait envisager la création de réserves naturelles, des projets de reboisement des oasis, et la réalisation d’un équilibre écologique durable. Par ailleurs, développer le tourisme médical dans les régions riches en sources thermales pourrait constituer une opportunité à exploiter.
Une vision future pour renforcer le secteur touristique
Pour consolider la position du Maroc en tant que destination touristique mondiale, il est nécessaire d’élargir les marchés cibles pour inclure l’Asie et l’Amérique du Sud, en adoptant des stratégies de promotion innovantes basées sur la digitalisation. Le lancement d’une application nationale utilisant l’intelligence artificielle pour proposer des recommandations personnalisées aux touristes en fonction de leurs centres d’intérêt pourrait transformer les règles du jeu.
Une meilleure valorisation du patrimoine culturel et naturel pourrait être réalisée grâce à l’organisation de festivals culturels et à la création d’infrastructures soutenant les activités sportives et d’aventure, telles que le ski sur sable, la plongée ou l’escalade, pour enrichir l’expérience touristique marocaine.
En conclusion
Réaliser des records en termes de nombre de touristes n’est qu’un début pour construire une industrie touristique durable qui génère des bénéfices globaux pour le développement. L’industrie touristique ne se limite pas à attirer des visiteurs et à engranger des revenus financiers ; elle englobe également le développement des infrastructures, l’amélioration de la qualité des services, la préservation des ressources naturelles et le renforcement de la participation des communautés locales.
En adoptant une vision globale axée sur la durabilité et l’innovation, le Maroc peut renforcer son secteur touristique pour devenir un modèle à suivre à l’échelle mondiale, tout en assurant des avantages économiques et sociaux aux générations futures.
Par Mohamed Assouali
Membre du Comité national d’arbitrage et d’éthique de l’USFP
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