A rappeler que jeudi 19 septembre 2024, plus de 150 personnes ont fait l’objet de poursuites judiciaires pour incitation à l’immigration irrégulière, quelques jours après l’échec d’une tentative massive de franchissement de la barrière séparant Sebta du reste du Maroc où 3.000 personnes ont tenté de pénétrer illégalement dans cette ville à la suite d’appels lancés sur les réseaux sociaux. Lors d’une conférence de presse, Mustapha Baitas, porte-parole du gouvernement a déploré que «certains jeunes soient incités à migrer par des inconnus sur les plateformes numériques». Dans le cadre de la lutte contre ces appels, 152 individus ont été entendus par un juge, a-t-il précisé.
Démantèlement accru des réseaux criminels
En outre, le document de la DGSN souligne le démantèlement de 123 réseaux criminels spécialisés dans l’organisation de la migration irrégulière et la traite des personnes, marquant une hausse de 2% par rapport à l’année 2023. Ces réseaux, souvent impliqués dans des activités transnationales, exploitaient des migrants vulnérables en leur promettant un passage vers l’Europe.
Cette opération a conduit à l’arrestation de 425 individus, comprenant des organisateurs et des intermédiaires qui facilitaient le trafic illégal. Par ailleurs, les forces de sécurité ont saisi 713 documents de voyage falsifiés, mettant en lumière l’ampleur des fraudes documentaires utilisées pour contourner les contrôles frontaliers.
Les autorités marocaines ont également déjoué 32.449 tentatives de migration irrégulière, dont 9.250 concernaient des ressortissants étrangers. Ces interventions ont permis d’éviter des traversées périlleuses, souvent marquées par des risques mortels, notamment en mer Méditerranée.
Questions en suspension
Toutefois, ces chiffres, bien que révélateurs d’une action étatique vigoureuse, soulèvent plusieurs interrogations quant à la nature, à l’ampleur et aux motivations sous-jacentes de ces campagnes d’incitation. En effet, la DGSN ne fournit pas d’éléments précis sur d’abord, le contenu des appels à la migration irrégulière : S’agit-il de promesses fallacieuses, de recrutement par des réseaux criminels, ou d’une instrumentalisation politique ? Qu’en est-il des messages incitateurs (discours, canaux utilisés, cibles démographiques) et des profils socio-économiques des migrants influencés par ces appels ?
Ensuite, sur l’ampleur réelle du phénomène : Quel est le nombre de personnes touchées par ces discours ? Ces appels ont-ils conduit à une augmentation observable des départs irréguliers? Et, enfin, sur le profil des incitateurs: Sont-ils des acteurs locaux (passeurs) ou des entités étrangères, comme le suggèrent certaines accusations? Y a-t-il des liens éventuels entre ces incitations et des groupes organisés (criminels ou politiques) ?
Autres questions et non des moindres : S’agit-il d’un phénomène circonscrit, limité à certaines zones géographiques à une période précise, ou bien assiste-t-on à une propagation inquiétante parmi la jeunesse marocaine, au point d’en faire un mouvement national ?
Autrement dit, ces appels émanent de foyers spécifiques – certaines villes ou régions plus touchées que d’autres– ou se diffusent de manière homogène à travers le pays ? Les données disponibles permettent-elles d’identifier une augmentation progressive du nombre de jeunes séduits par ces discours, ou observe-t-on plutôt des pics ponctuels liés à l’actualité ?
Hypothèses sur les acteurs impliqués et leurs motivations
Plusieurs voix, notamment dans les médias et les débats publics, ont émis l’hypothèse que des parties étrangères pourraient être à l’origine de ces campagnes, voire qu’il s’agirait d’un complot déstabilisateur contre le Royaume. Cette rhétorique, bien que non étayée par des preuves tangibles, reflète une méfiance accrue envers les ingérences extérieures, notamment dans un contexte géopolitique marqué par les tensions autour des flux migratoires vers l’Europe et le rôle du Maroc comme pays tampon. Sans oublier les rivalités régionales, notamment avec l’Algérie, souvent pointée du doigt, ainsi que l’émergence de réseaux transnationaux de trafic d’êtres humains, susceptibles d’utiliser les réseaux sociaux pour recruter des candidats à la migration.
Les réseaux sociaux, terrain de chasse des trafiquants
Pour plusieurs experts, les réseaux sociaux, initialement conçus pour connecter les individus, sont devenus des outils à double tranchant. Alors qu’ils facilitent les échanges et l’information, ils sont aussi exploités par des réseaux criminels pour recruter, tromper et exploiter des victimes de trafic humain. Au Maroc et ailleurs, ces plateformes jouent un rôle croissant dans l’organisation de la migration irrégulière, exposant des milliers de personnes à des risques mortels.
Les passeurs et les organisations criminelles utilisent Facebook, TikTok, WhatsApp et même YouTube pour diffuser des publicités trompeuses, promettant des voyages sûrs et légaux vers l’Europe. Ces messages ciblent principalement des jeunes en situation de précarité, leur proposant de faux contrats de travail, des visas frauduleux ou des traversées « sans danger », constatent plusieurs spécialistes de la question.
Pourtant, ce phénomène ne se limite pas au Maroc. A l’échelle mondiale, les réseaux sociaux jouent un rôle ambivalent dans le parcours des migrants : s’ils peuvent servir d’outils d’information et de solidarité, ils sont aussi détournés par des acteurs malveillants pour exploiter une population vulnérable.
Tout d’abord, ces plateformes facilitent l’exploitation des migrants, notamment à travers le travail forcé, où des recruteurs utilisent des offres d’emploi trompeuses pour piéger leurs victimes. De même, la prostitution et la mendicité organisée sont promues via des annonces discrètes ou des groupes fermés, échappant souvent au contrôle des autorités.
Ensuite, la désinformation prospère sur ces espaces virtuels. De faux conseils circulent sur les routes migratoires, encourageant des traversées périlleuses ou minimisant les risques réels (naufrages, violences policières, déserts mortels). Certains influenceurs ou passeurs peu scrupuleux diffusent des récits trompeurs, amplifiant ainsi les dangers encourus par les migrants.
Enfin, les réseaux sociaux servent de leviers pour le financement des réseaux criminels. Les transactions opaques, comme les paiements en crypto-monnaies, permettent de blanchir de l’argent issu du trafic d’êtres humains. Par ailleurs, le crowdfunding illégal (campagnes de dons frauduleuses) est utilisé pour financer des passeurs ou des organisations mafieuses sous couvert d’aide humanitaire.
Ainsi, sans régulation internationale renforcée, ces plateformes risquent de rester des terrains propices à l’exploitation et à la criminalité, aggravant les périls auxquels font face les migrants.
Hassan Bentaleb
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