Plus chers que partout ailleurs : Chers, trop chers, nos hydrocarbures

Plus chers que partout ailleurs : Chers, trop chers, nos hydrocarbures
Anwarpress FR mardi 8 avril 2025 - 15:00
Alors que les marchés pétroliers internationaux s’effondrent dans une chute vertigineuse, provoquée par une cascade d’événements géopolitiques et économiques, le Maroc semble figé dans une étrange immobilité. Les prix à la pompe y demeurent obstinément stables, indifférents aux fluctuations qui secouent le reste du monde. Cette dissonance soulève plus que des interrogations: elle alimente la suspicion, alerte les analystes, et met en lumière les lacunes d’un système que certains jugent verrouillé, inefficace, voire abusif.

La scène mondiale, d’abord. Depuis le début du mois d’avril 2025, les cours du pétrole se sont effondrés de manière spectaculaire. Le baril de Brent, référence mondiale, a perdu 6,5% pour atteindre 65,58 dollars, son plus bas niveau depuis 2021. Le WTI, de son côté, a chuté de 14% en deux jours, flirtant avec des planchers oubliés depuis la pandémie de Covid-19. En toile de fond, une décision unilatérale de Washington : l’administration Trump a choisi de durcir les droits de douane sur de nombreux pays, alimentant les craintes d’un ralentissement de la demande mondiale. La réponse n’a pas tardé. OPEP+ a réagi avec empressement, inondant le marché d’un surplus de production dans l’espoir de redresser les cours. En vain.

Cependant, au Maroc, cette tempête mondiale n’a laissé que de timides frissons. Les consommateurs n’ont vu, au mieux, que quelques centimes de réduction sur le prix du litre de gasoil ou d’essence. Une baisse si marginale qu’elle en devient presque insultante, eu égard à la dynamique planétaire. Tandis que le prix international s’effondre, les stations-services marocaines s’arc-boutent sur leurs étiquettes. Le litre de gasoil frôle encore les 11 dirhams, celui de l’essence reste scotché autour de 13 dirhams. Et ce statu quo interroge profondément.

A notre alter ego «Al Ittihad Al Ichtiraki», Houcine El Yamani, secrétaire général du Syndicat national du pétrole et du gaz, a livré une analyse tranchante : selon les données actualisées du marché international et du taux de change, le litre de gasoil ne devrait pas excéder 9,73 dirhams, celui de l’essence 11,12 dirhams. «Même sans intégrer les prix compétitifs du pétrole russe», affirme-t-il, « si l’on appliquait la formule de calcul d’avant la libéralisation de 2015, les tarifs devraient être bien inférieurs aux niveaux actuels». Son constat est sans appel : malgré le débat public et l’intervention du Conseil de la concurrence, les marges restent excessives, les prix injustifiés.

Ce diagnostic trouve également écho dans le dernier rapport du Conseil de la concurrence. L’organisme, pourtant souvent critiqué pour sa discrétion, y documente clairement une déconnexion persistante entre les tendances internationales et les prix nationaux. Le troisième trimestre de 2024, marqué par une baisse nette des prix des produits raffinés à l’échelle mondiale, n’a connu aucune répercussion significative au Maroc. Une anomalie qui fragilise non seulement la compétitivité du marché, mais surtout le pouvoir d’achat des ménages. La déperdition de transmission entre les cours mondiaux et les prix à la pompe n’est ni fortuite ni accidentelle : elle trahit une architecture défaillante, construite autour de la libéralisation sans garde-fous.
Car c’est là le nœud du problème. Depuis la levée des subventions et la libéralisation du marché fin 2015, l’Etat a délégué au privé la fixation des prix des carburants. Une réforme ambitieuse, mais mise en œuvre sans les outils nécessaires pour encadrer ses effets.

Aucune régulation efficace, aucun mécanisme de plafonnement, aucune exigence de transparence sur les marges réalisées. Résultat : une envolée des prix en période de crise, et une inertie suspecte lorsqu’ils chutent ailleurs. Ce qui devait être un marché concurrentiel s’est mué, selon plusieurs observateurs, en un oligopole de fait.

En creux, la question de la Samir refait surface. La raffinerie de Mohammedia, à l’arrêt depuis 2015, est au cœur de nombreuses revendications. Nombre d’experts y voient la clé pour desserrer l’étau. Sa relance permettrait de réduire la dépendance du Maroc aux importations de produits raffinés, d’abaisser les coûts de stockage et de transport, et donc d’infléchir les prix finaux. Mieux encore, elle incarnerait une volonté de souveraineté énergétique, dans un monde où les chocs géopolitiques deviennent la norme.

Mais la relance industrielle ne saurait suffire. Ce qu’il faut, au fond, c’est repenser le cadre même du marché. Revenir à une forme de régulation des prix, au moins transitoire. Réintroduire des outils de contrôle efficaces. Réviser la fiscalité qui pèse lourdement sur chaque litre consommé. Et surtout, garantir la transparence totale sur les coûts, les marges et les mécanismes de fixation des prix. Tant que ces éléments resteront opaques, le soupçon prévaudra, et avec lui, la défiance.

Car l’enjeu dépasse la seule question du carburant. Il touche à la justice économique, à la cohésion sociale, à la crédibilité des institutions. Dans un contexte de ralentissement économique, de pressions inflationnistes et d’instabilité mondiale, les Marocains ne peuvent plus se contenter d’un système qui fonctionne à leur détriment. Ils exigent des réponses, des réformes, et surtout, une gouvernance qui ne soit pas capturée par les intérêts particuliers.

Mehdi Ouassat


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