Derrière des barrières métalliques, un terrain abrite ce chantier d’un tout autre genre, et d’un tout autre âge. Ici, ce n’est pas l’avenir que l’on construit, mais le passé le plus lointain que l’on exhume…
On est au site archéologique de Carrière Thomas I, où une poignée de chercheurs passionnés continuent à creuser, au sens propre et figuré, dans les profondeurs de l’histoire humaine.
Du 2 au 17 avril courant, une mission de recherche et d’étude s’est tenue dans le cadre du programme « Préhistoire de Casablanca ». Ce projet maroco-français est porté par l’Institut national des Sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), relevant du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication-département de la Culture, en partenariat avec le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, le Laboratoire d’excellence Archimède (Université Paul Valéry – Montpellier) et le Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Équipés des outils les plus pointus, ces archéologues remontent patiemment le fil du temps, jusqu’aux premières traces de la présence humaine dans cet endroit du monde.
Au dernier jour de la mission, des chercheurs s’employaient à restaurer un crâne de rhinocéros, découvert il y a quelques années dans le site archéologique de la grotte des rhinocéros, se trouvant dans la carrière avoisinante d’Oulad Hamida 1, lequel a livré les plus anciens vestiges fossiles d’animaux consommés en grotte par des hommes sur le continent africain.
Dans un espace à l’écart, installé comme un petit laboratoire, une spécialiste en restauration paléontologique s’affaire avec patience et minutie.
Son attention est entièrement tournée vers ce fossile vieux de près de 900.000 ans. Elle nettoie et réassemble les pièces de ce puzzle. Chaque os est replacé à sa juste place. A travers cette restauration délicate, c’est toute une histoire qui reprend vie.
« Ce n’est pas du plâtre qu’on applique pour restaurer ce fossile, mais un sédiment extrait du site même, allié à une résine acrylique. Une méthode fine, réversible, qui respecte la lisibilité de l’objet tout en préservant son potentiel scientifique », explique l’archéozoologue Camille Daujeard, du Muséum national d’histoire naturelle et co-directrice du programme « Préhistoire de Casablanca ».
Sur ce crâne, il a d’abord fallu retirer les couches anciennes, puis recoller les fragments. Il a fallu faire apparaître l’os, le rendre lisible pour les chercheurs, précise-t-elle au micro de la MAP.
« Grâce à ce travail de restauration, il devient possible d’envisager des études tracéologiques, pour repérer d’éventuelles traces de boucherie ou de manipulation, et des mesures précises », ajoute-t-elle.
Peut-être, avec un peu de chance, dit-elle, ce crâne permettra-t-il d’éclairer une énigme qui hante les chercheurs depuis des décennies : pourquoi tant de rhinocéros dans cette petite grotte ? L’espèce n’est pas cavernicole, aucune trace évidente de chasse humaine… mais beaucoup de remaniements, de charriages, comme si l’eau ou d’autres animaux avaient déplacé les carcasses.
Au-delà de la restauration de ce crâne, c’est une véritable enquête interdisciplinaire qui se dessine. Les dents de ce rhinocéros, très bien conservées, livrent elles aussi leur part d’histoire.
« Grâce à des analyses d’usure microscopique ou d’isotopes, les chercheurs peuvent reconstituer l’alimentation des animaux… et, par ricochet, les paysages qu’ils fréquentaient. Savane ? Forêt ? Chaque micro-fracture devient une piste. Chaque détail, bien que paraissant insignifiant, compte. On interroge les environnements passés », souligne, pour sa part, l’archéologue et préhistorien, Abderrahim Mohib.
Mais en quoi ces recherches, tournées vers les périodes aussi lointaines, sont-elles importantes pour une ville en pleine reconstruction du futur ? « Ces travaux et études s’inscrivent dans un cadre plus large : celui de la valorisation du patrimoine marocain. Casablanca attire désormais les regards des paléontologues et des archéologues du monde entier », répond ce chercheur associé à l’INSAP et co-directeur dudit programme.
« A travers ces découvertes, c’est tout un récit qui se dessine : celui d’une région au cœur de la préhistoire humaine, capable de raconter, par ses vestiges, les premières aventures des groupes humains avant l’émergence de l’Homo sapiens et les mystères de la vie animale. Un récit que le Maroc veut faire entendre, à la faveur des grands rendez-vous à venir », indique notre interlocuteur.
Le crâne de rhinocéros en question, une fois qu’il aura tout révélé de son histoire et de celle de son environnement, sera exposé, pour l’éternité, en plus d’autres fragments et objets découverts, au Parc de Préhistoire de Sidi Abderrahmane (actuellement en réaménagement), situé sur le site de l’ancienne carrière de Sidi Abderrahmane. Un endroit qui a été rendu célèbre par la découverte en 1955, dans la grotte de Littorines, d’une mandibule fragmentaire humaine, qui remonte à environ 350.000 ans.
Selon l’archéologue Rosalia Gallotti, du Laboratoire d’Excellence Archimède et co-directrice du programme « Préhistoire de Casablanca », les sites de Casablanca offrent des perspectives incontournables pour étudier et reconstituer l’histoire de la culture matérielle acheuléenne en Afrique du Nord, précisant qu’il s’agit de la plus longue culture dans l’histoire de l’humanité marquant la période du Paléolithique ancien.
La ville de Casablanca renferme différents sites archéologiques, à savoir la carrière d’Ahl Al Oughlam (2,5 millions d’années), le site L à la carrière Thomas I (+ 1,3 million d’années), la grotte à Hominidés à la carrière Thomas I (780.000 ans), la grotte des Rhinocéros (800.000 – 900.000 ans) et la carrière de Sidi Abderrahmane (500.000 à 300.000 ans).
Un potentiel archéologique inestimable pour l’avenir de la ville… et qui n’a pas encore livré tous ses secrets !
Par Mohamed Aswab (MAP)
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