Retour sur le crime d’Erfoud entre autres : L’effacement des modèles

Retour sur le crime d’Erfoud entre autres : L’effacement des modèles
Anwarpress FR jeudi 24 avril 2025 - 12:37
Face à un réel devenu labyrinthe, l’être humain cherche une boussole. Pas n’importe laquelle. Une qui donne du sens, une qui raconte. Car l’homme, depuis toujours, ne vit pas dans la réalité brute — il habite ses récits et s’inspire  de leurs modèles. Mais que se passe-t-il lorsque ces modèles s’effondrent? Lorsque les modèles qui donnaient forme au chaos se dissipent comme de la buée sur une vitre froide? Il reste seul. Nu face à un monde qui le dépasse. Et dans ce vide, le réel devient un monstre aux mille visages. Trop dur, trop tranchant, trop incohérent. L’inconnu, lui, soudain, paraît doux. Accueillant même. Alors certains sautent. Non pas par goût du risque, mais par épuisement. Sautent dans les bras d’une idéologie radicale, dans l’ivresse d’un crime, dans l’illusion d’un ailleurs — le fameux Hrig. Ou pire encore : dans le silence éternel d’un adieu. Comment en est-on arrivé là ?Par la perte. Pas celle des biens. Celle du sens. Et quand le sens se retire, les ténèbres avancent.

•     L’effacement du modèle de la famille

Les premiers dieux d’un homme ne sont ni célestes ni lointains. Ce sont ses parents. Il les regarde avec les yeux grands comme le monde. Il croit qu’ils savent, qu’ils peuvent, qu’ils tiennent l’univers au creux de leurs paumes. Et puis il grandit. Il ne fait pas que pousser en taille. Il pousse aussi en lucidité. Et un jour, il entend. Il voit. Il ressent. L’incohérence. Il y a les mots qu’on lui a répétés comme des mantras: l’honneur, le respect, la vérité. Et puis il y a les gestes. Les silences. Les contradictions. Que faire quand ceux qui devaient incarner le sens deviennent les premiers à le trahir? Quand le père — ce pilier, ce phare, ce roc — tremble? Quand il dit une chose et en vit une autre? Ce n’est pas une simple déception. C’est un tremblement de terre intérieur. Une faille dans l’âme.

C’est exactement ce qu’a vécu le personnage principal de Trente et une nuits. Ce moment précis où l’idole s’effrite. Où le mythe paternel se fissure. Et dans cette fissure… un vertige. Il ne hait pas. Il ne juge pas. Mais il vacille. Car quand le modèle tombe, ce n’est pas seulement le père qui s’effondre. C’est une part de lui-même.

«Je suis revenu chez toi (son père), espérant en rassembler les morceaux. J’avais grand espoir d’y arriver, mais un espoir unique! C’était toi, mon père, mais j’ai découvert que la dalle de valeurs sur laquelle tu m’avais élevé et sur laquelle je me dressais toujours n’était construite que de sable, lequel s’affaissait sous mes pieds en un seul soir… Tant de questions auxquelles je n’avais pas de réponses. Comment, après tout cela, ma conscience pourrait-elle s’accrocher à l’image d’un père qui peut tout ? Tout ce que je sais, c’est que cet homme, dont j’avais une image brillante, d’érudit, rassurant, courageux et sage, n’est plus ! »1C’est le premier pas vers l’enfer.

•     L’effacement du modèle de l’enseignant

Il y a, après les parents, un autre phare qui tente de percer la brume : l’enseignant. Pas seulement celui qui dicte des leçons, mais celui qui, par sa posture, sa voix, son silence même, éduque. Celui qui, par sa manière d’être, fait naître en l’élève l’envie de devenir. Il n’enseigne pas que des savoirs. Il transmet une direction. Une éthique.

Un sens. Mais imagine…Imagine que ce flambeau vacille. Que les mots qu’il prononce sonnent creux. Que les valeurs qu’il vante ne traversent jamais ses gestes. Que l’élève perçoive, un jour, que derrière le tableau, il n’y a pas de cohérence, mais une façade. Alors c’est un deuxième pilier qui tombe. Et avec lui, un autre pan de repère, un autre refuge s’effondre. C’est ce que vécut, encore une fois, le personnage de Trente et une nuits. Après le père, voici que le maître chancelle. Et dans ses yeux d’adolescent, ce n’est pas seulement un homme qui chute, c’est l’idée même d’élévation. Quand le savoir perd son porteur, c’est l’élève qui se perd. Le même personnage voit le modèle du professeur s’effondrer devant lui en une matinée.

« -Les enseignants sont presque des prophètes-, comme tu me l’as répété. Mais quelle différence entre ce qu’on croit être la réalité et la réalité elle-même ! Les prophètes sont honnêtes, mais, quelqu’un qui se permet d’attribuer une note à un élève alors qu’il n’a même pas corrigé sa copie d’examen, comment peut-il l’être ? »1

•     L’effacement du modèle de l’institution

Qu’elle prenne la forme d’un collège, d’un lycée, d’une administration ou de toute autre structure, une institution n’est pas qu’un bâtiment. Elle est censée être un terreau. Un cocon. Un cadre vivant où l’être humain pousse sans se trahir. Où il apprend à se dresser sans courber l’âme. Mais si cette institution oublie sa mission profonde — si elle se contente d’aligner des murs et de remplir des formulaires — alors elle devient une maison de verre.

Transparente. Belle peut-être. Mais fragile. Elle expose au regard ce qui aurait dû être protégé. Elle laisse entrer les courants d’air là où il fallait bâtir des racines. Et il suffit d’un jet de pierre — une injustice, une humiliation, un oubli — pour que tout se fissure. Pour que le verre éclate, et que ceux qu’elle abritait se retrouvent nus, blessés, désorientés. Car une institution qui n’élève pas, détruit. Et celle qui ne cultive pas la dignité creuse elle-même sa propre tombe, à coup d’indifférences. Suivant le même personnage, il commence à perdre confiance en tout, y compris l’administration du collège.

«Hamid, mon camarade, qui s’était absenté aux commodités, revint en tenant un paquet de papiers… C’était nos copies d’examen de mathématiques qui se trouvaient par terre ! Elles étaient telles que nous les avions écrites, sans ratures, ni notes, ni traces de corrections. L’examen était pourtant déjà passé, et nos notes étaient déjà inscrites sur nos relevés, lesquels avaient été classés dans les casiers de l’administration, son cachet formel y ayant été apposé ! Nous n’y comprîmes rien !»1. L’ironie du hasard a fait que cette scène s’est inspirée d’une expérience réelle vécue dans la ville d’Erfoud !

•     L’effacement du modèle de soi

Quand tous les modèles s’effondrent — le père, le maître, l’institution — il ne reste qu’un refuge : soi-même. Le dernier bastion. La dernière île avant le naufrage. Tout au long du chemin, des visages nous ont marqués, des épreuves nous ont sculptés des blessures nous ont réveillés. Et peu à peu, sans qu’on s’en rende compte, s’est dessinée en nous une silhouette : l’image que l’on se fait de soi. Pas un masque. Un miroir. Un récit intime tissé d’expériences, de résilience, de cicatrices lumineuses.
Mais si ce miroir se brise, si cette image vacille, si l’on ne se reconnaît plus dans sa propre histoire…


Retour sur le crime d’Erfoud entre autres : L’effacement des modèles
Alors il ne reste rien à quoi se raccrocher. On devient proie. Proie du premier prédateur qui promet du sens. Proie de la première vague qui emporte tout. Et ce n’est pas la force du courant qui nous submerge. C’est l’absence d’ancrage. Car lorsqu’on ne tient plus à soi, on ne tient plus à rien. Et le monde, alors, peut nous avaler — sans bruit, sans lutte. Ce fut aussi la conclusion du personnage de Trente et une nuits. « Je fus tout aussi lâche face au professeur de mathématiques ! J’aurais dû le dénoncer auprès de l’administration pédagogique, preuves à l’appui, mais j’ai choisi la solution qui m’est apparue la plus simple, comme j’avais l’habitude de le faire». La suite pour ce personnage, ce fut l’enfer, les bras d’une organisation terroriste !
Hamza Marzak, 1 Trente et une nuits Tome I : Lattaque

Par Abderrazak Hamzaoui  
Email : hamzaoui@hama-co.net
www.hama-co.net


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