Ce que l’on peut dire de Grandjean, c’est qu’il est l’un des plus grands amoureux de la Chine, à qui il doit beaucoup, tant sur le plan personnel que professionnel, à tel point qu’il s’y est installé avec sa petite famille. A travers les différents courts séjours de tournage ayant certainement été épuisants au fil du temps, il n’est pas surprenant qu’il ait décidé de franchir ce pas. Il est également agréable de constater qu’il a su conjuguer l’utile à l’agréable, su faire de son hobby son métier : car voyager reste sa passion, rencontrer les gens son élixir.
Le voyage est certainement l’un des plus anciens motifs et changements de lieu de l’humanité, car il constitue la base des premiers légendes, mythes et récits, et les expériences et défis de diverses œuvres et de leurs auteurs en témoignent : Gilgamesh, Ulysse, Œdipe, Thésée, Orphée, Marco Polo, Ibn Battouta, Robinson Crusoé, etc. On peut prétendre en bonne conscience que la mobilité à elle seule représente le carburant de la condition humaine, et l’histoire de la civilisation, qui est au fond l’histoire des changements de lieu, a toujours été jalonnée par de grandes migrations et de nouvelles implantations. Encore et encore !
Les mouvements externes et internes sont considérés comme des constantes relatives aux récits de voyage, du fait que la littérature de voyage comprend deux domaines thématiques prépondérants: la description du monde extérieur du monde intérieur, dans lesquels les sensations, le vécu, les émotions du voyageur viennent au premier plan, quant au récit du voyage factuel il est relégué à l’arrière-plan. Ainsi nous avons une interaction entre mouvements externe et interne.
Et si la vie quotidienne est toujours la même, la vivacité et l’intensité qui découlent des stimuli font défaut. Ce n’est pas la force absolue du stimulus qui est importante pour la perception, mais le changement d’intensité. Les stimuli constants ne déclenchent pratiquement plus d’impulsions nerveuses, positivement « fiévreuses » ; on « s’adapte », et par conséquent on perçoit moins. Le voyage éveille la perception et aiguise les sens. D’une part, parce que la nouveauté des stimuli stimule les sens, et d’autre part, parce que le besoin d’orientation pendant le voyage nécessite une utilisation accrue de cette denrée. En raison de l’éloignement des exigences de la vie quotidienne, on est plus attentif, ce qui signifie qu’on est moins distrait et que les « canaux de perception » sont plus réceptifs. Voyager crée donc un sentiment de vigilance et de vitalité accrues, car différents sens – souvent moins utilisés dans la vie quotidienne – sont stimulés.
Voyager, c’est passer aussi des épreuves qui façonnent la personnalité et apportent une contribution particulière à la connaissance de soi. Il s’agit toujours d’une rencontre avec l’autre : les interactions avec l’autre forment ainsi un réseau complexe de confiance en soi, mais aussi d’incertitude de soi-même, de sa propre identité et de ses connaissances culturelles acquises. La fascination pour l’autre se mêle souvent à des tentatives de démarcation, si bien que l’on retrouve chez Grandjean à côté du besoin de s’enthousiasmer, d’exprimer son amour pour la Chine, un réflexe identitaire qui débouche sur la défense de sa propre identité, de sa propre langue, ce qui est en effet totalement légitime, tout en proposant ainsi à la télévision d’Etat chinoise des discussions avec des ambassadeurs francophones : il s’agit des ambassadeurs de Suisse, du Maroc, du Portugal (bien que non francophone), du Liban, du Gabon, de Tunisie etc.
Toutefois, nous sommes extrêmement reconnaissants à Grandjean, qui, bien qu’il ne nous donne qu’un petit aperçu de la Chine, a su mettre le sang du lecteur en ébullition, rythmé de sanglots et de drames, comme celui de la perte de son meilleur ami d’enfance, ou lorsqu’il s’est brisé la clavicule, signe d’une douleur, d’une passion au-delà de la souffrance et des incidents de parcours. Nous lui sommes extrêmement reconnaissants aussi pour les chaleureux tableaux, pleins de touches de gaieté et de joie, qu’il a peints : lorsqu’il a fait les éloges de la beauté de l’île de Hainan, à laquelle j’ai consacré un recueil de poésie allemand-chinois, lorsqu’il décrit les aurores boréales de Mohe, les belles sculptures de glace de Harbin du Heilongjiang, la ville natale de Bruce Lee à Foshan, que j’associe malheureusement à la quarantaine pendant la période du Covid, Hangzhou et son célèbre lac de l’Ouest, Lac Xihu, Kunming et son marathon, qui a lieu chaque année et d’où l’on peut visiter Dali, Lijiang ou Shangri-La, ou Fuding du Fujian, où l’on cueille les bourgeons des feuilles de thé pour fabriquer du thé blanc, le refuge de l’Armée rouge à Yan’an en compagnie de l’idéaliste convaincu Edgar Snow, Qingdao, où Tsingtao, bière coule en flots, Shenzhen, où la modernité et l’innovation célèbrent ses triomphes, le lac Chagan, où l’on peut pêcher des tonnes de poisson, même dans des glaces éternelles, là où les fenêtres d’opportunités sont calculées au plus juste.
Mais il a également mis en lumière certaines personnes qui ont tout consacré à leur passion. Il y a le photographe qui a parcouru plus de 180 000 kilomètres à travers le vaste pays pour prendre des photos de famille; ou Iman Mehmet, l’un des plus grands écologistes de Chine, qui, en concertation avec le gouvernement local, a décidé de verdir 80 000 hectares dans le lointain Xinjiang afin de fertiliser le désert.
Du point de vue marocain, les moments les plus mémorables sont certainement l’amitié avec l’ambassadeur M. Aziz Mekouar, l’un des meilleurs diplomates que le Maroc n’ait jamais eus. M. Aziz Mekouar. C’est également lui qui a organisé le transport de masques de protection et de matériel médical en concertation avec les autorités marocaines compétentes et l’ambassade de Chine à Rabat, et cela sous les Hautes Instructions de Sa Majesté Mohammed VI. Ce souvenir de solidarité, cet élan fraternel restera à jamais gravé dans la conscience collective de tous les Marocains, et rappellera à jamais aux deux peuples que la coopération, le respect et le soutien mutuels sont les clés du succès pour un monde pacifique et harmonieux.

Grandjean a certainement été infecté par le virus du voyage à un âge assez précoce, celui de 13 ans déjà, mais dans le cas de la Chine, c’est un torrent puissant, comme le pays d’ailleurs, qui emporte tout, porte avec lui désir et lumière, créant ainsi transe et moments de joie et de plaisir, un courant puissant qui relie la Chine au reste du monde. «Empire du Milieu», honneurs mérités !
Par Mourad Alami
Ecrivain, poète, essayiste et universitaire. (Allemagne, Maroc et Chine-Anhui, Chongqing et Hainan : 6 ans). 4 ouvrages relatifs à la Chine.
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