Alors que le gouvernement martèle son engagement envers un prétendu Etat social, la réalité du quotidien marocain offre un contraste brutal : flambée des prix, appauvrissement des ménages, effondrement de la confiance dans les institutions, et recul inquiétant de l’efficacité publique. Le «modèle marocain» est en panne, miné par des inégalités croissantes, des arbitrages budgétaires contestables, et une gouvernance marquée par l’inaction ou le clientélisme.
Ce texte propose une analyse rigoureuse d’une situation critique à travers quatre axes interdépendants, appuyés par des données récentes, des comparaisons internationales et des recommandations structurelles.
1. Perte de confiance et hyperinflation sociale : un fossé qui se creuse
L’indice de confiance des ménages s’établit à 46,6 points au premier trimestre 2025, signe d’une fracture durable entre citoyens et gouvernants. Ce chiffre, en apparence technique, reflète une perte de repères socioéconomiques. Les politiques publiques semblent incapables d’enrayer l’inflation, qui a atteint 4,3% en 2024, tandis que les produits alimentaires ont enregistré une hausse moyenne de 7,5%, avec des pics de +50% sur les céréales et les huiles.
Les salaires stagnent, les prix explosent, les mécanismes d’aide sociale s’essoufflent : 42% des ménages n’arrivent plus à couvrir leurs besoins de base. L’Etat semble absent face aux spéculateurs, incapable de réguler le marché, ni de rétablir un rapport de force favorable aux plus vulnérables. La promesse d’un Etat protecteur vire à la fiction, nourrissant frustration, colère sociale et désengagement civique.
2. Classe moyenne en chute libre et corruption normalisée : un double effondrement
La classe moyenne, pilier de toute stabilité démocratique, est en déclin vertigineux. Elle représente moins d’un quart de la population, selon le CESE. Un fonctionnaire marocain perçoit en moyenne 4000 dirhams par mois, alors que le seuil de vie décente dépasse 8000 dirhams, selon des estimations indépendantes. Ce décrochage alimente le ressentiment et pousse des franges entières vers la précarité.
Dans le même temps, la corruption devient une norme implicite de gouvernance. Le Maroc recule à la 97ème place dans le classement de Transparency International, et l’impunité s’installe : aucune grande affaire ne débouche sur des sanctions exemplaires. Le principe constitutionnel de «reddition des comptes» reste lettre morte. Ce climat affaiblit l’Etat de droit et transforme l’appareil public en un outil d’exclusion et d’inégalités.
3. Fragilité structurelle et vulnérabilité sociale : les failles d’un modèle inégalitaire
Le Maroc repose sur une économie duale, où le secteur informel représente 30% du PIB et plus de 2,4 millions de travailleurs sont sans droits ni protection. Cette économie de survie échappe à la régulation et limite les capacités fiscales de l’Etat, hypothéquant toute politique redistributive ambitieuse.
Les femmes, notamment en milieu urbain et rural, subissent une double marginalisation : un taux de chômage de 42% en ville, contre 22% pour les hommes, et une quasi-absence de couverture sociale dans les zones agricoles. Les services sociaux fondamentaux s’effondrent : dépenses de santé plafonnées à 6% du budget national, et un taux d’analphabétisme alarmant de plus de 28% au niveau national, atteignant 40% en milieu rural.
A cela s’ajoutent une dépendance commerciale dangereuse (68% des échanges avec l’UE), une fuite massive des compétences, et une fracture numérique croissante, qui empêchent tout saut qualitatif vers un développement inclusif.
4. L’urgence d’un changement systémique : repenser l’Etat social au-delà du slogan
Il ne s’agit plus d’ajustements techniques ou de réformes à la marge. Le Maroc a besoin d’une refondation de son modèle socioéconomique, portée par une volonté politique claire, des choix courageux et une vision à long terme.
Parmi les chantiers prioritaires :
• Mettre en place une fiscalité plus juste, incluant une imposition progressive des grandes fortunes et des rentes improductives.
• Redéployer les subventions vers les filières agricoles durables, et non vers les importateurs ou les grands distributeurs.
• Revoir la dette publique, afin de dégager des marges pour financer l’éducation, la santé et les infrastructures sociales de proximité.
• Renforcer les compétences de la Haute Autorité indépendante de lutte contre la corruption, en la dotant de pouvoirs réels d’enquête et de sanction.
• Décentraliser les politiques sociales, avec un système de financement territorial basé sur des indicateurs de résultats (scolarisation, santé, emploi).
Des exemples de pays comme le Portugal (revalorisation des salaires et lutte contre la spéculation immobilière), le Rwanda (gestion rigoureuse et couverture universelle en santé) ou l’Uruguay (transparence fiscale et inclusion sociale) prouvent que les réformes profondes sont possibles si elles s’ancrent dans la justice et la démocratie.

Le Maroc est à la croisée des chemins. Soit il assume un tournant social historique, fondé sur la justice, la solidarité et la transparence, soit il continue de gérer les symptômes d’un système inégalitaire voué à l’échec. Les citoyens attendent des réponses concrètes, pas des discours. L’État ne pourra reconquérir la confiance qu’en démontrant, preuves à l’appui, qu’il agit pour tous et non pour quelques-uns. L’heure n’est plus aux slogans. Elle est à la responsabilité. La réponse est entre les mains des électeurs en 2026 et en 2027.
Par Mohamed Assouali
Membre du Comité national d’arbitrage et d’éthique de l’USFP.
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