Un poids lourd entre dans la danse
Jusqu’à présent, Londres avait entretenu une position nuancée, équilibriste, voire prudente, sur la question du Sahara marocain. Mais cette visite historique de David Lammy à Rabat, la première d’un Secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères depuis 2011, change fondamentalement la donne. Ce n’est plus une sympathie cordiale, c’est une prise de position affirmée, assumée et adossée à une série d’engagements politiques et économiques. Ce changement de cap intervient alors que d’autres grandes puissances — les Etats-Unis, la France et l’Espagne — ont déjà fait le pas. L’adhésion du Royaume-Uni à cette dynamique fait voler en éclats le récit d’un soutien international hésitant autour de la proposition marocaine.
En réalité, cette reconnaissance n’arrive pas ex nihilo. Elle s’inscrit dans une trajectoire géopolitique où la stabilité du Maghreb devient un enjeu de plus en plus sensible pour les puissances mondiales. L’insécurité sahélienne, l’instabilité en Libye, la montée des tensions entre l’Algérie et ses voisins, et la compétition sino-russe pour l’influence africaine réécrivent les priorités des chancelleries occidentales. Pour Londres, il devient urgent de miser sur un partenaire fiable, politiquement stable, stratégiquement positionné et économiquement prometteur : le Maroc.
L’économie comme levier de diplomatie
L’un des volets les plus significatifs de ce réalignement est économique. UK Export Finance, le bras financier du gouvernement britannique à l’exportation, s’est engagé à mobiliser jusqu’à 5 milliards de livres sterling pour soutenir des projets dans le Royaume — y compris dans les provinces du Sud. C’est là que la diplomatie britannique franchit une ligne symbolique. Il ne s’agit plus seulement de soutenir politiquement une position, mais de l’ancrer dans le réel, dans le concret, dans l’investissement.
Ces projets ne sont pas que des chantiers d’infrastructure. Ils sont des marqueurs de souveraineté. Chaque livre, chaque euro et chaque dollar investi à Dakhla ou Laâyoune, chaque partenariat signé dans les domaines des énergies renouvelables, de la pêche, ou de la logistique, est un acte de reconnaissance de la marocanité du Sahara. En liant ainsi diplomatie et économie, Londres adopte une posture stratégique qui dépasse le cadre classique de la neutralité onusienne.
Le poids des symboles
La formulation même du communiqué conjoint, signé par David Lammy et Nasser Bourita, mérite l’attention : le Royaume-Uni reconnaît l’importance de la question du Sahara pour le Maroc, et affirme que sa résolution renforcerait la stabilité de l’Afrique du Nord et relancerait l’intégration régionale. C’est une manière diplomatique — mais transparente — de dire que le statu quo n’est plus tenable et que l’alternative proposée par le Maroc représente la seule voie praticable dans une région en quête d’ancrages solides.
David Lammy, dont la diplomatie se veut offensive et orientée vers les résultats, l’a formulé sans ambiguïté : «Il est grand temps de trouver une solution». Il ne s’agit plus d’attendre passivement que les lignes bougent. Le Royaume-Uni entend être un acteur du règlement. Cette posture proactive se traduit également par le soutien affiché à l’envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies, Staffan de Mistura, et à son processus politique. Mais ce soutien est désormais encadré par un postulat clair : le plan d’autonomie marocain constitue la seule base sérieuse de négociation.
Leadership Royal
Ce soutien britannique constitue une victoire diplomatique de plus pour le Maroc et pour la stratégie menée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Depuis des années, le Souverain a fait du dossier du Sahara non seulement une priorité nationale, mais le socle de la diplomatie marocaine dans le monde. Ce qui était un dossier sensible est devenu un levier d’influence.
L’analyse de Nasser Bourita est lucide et stratégique. Pour le chef de la diplomatie marocaine, cette position britannique n’est pas un aboutissement, mais une étape dans une dynamique de fond. Elle démontre que le Maroc ne se contente pas de défendre son intégrité territoriale sur la scène internationale, mais qu’il construit un véritable écosystème diplomatique, économique et politique autour de cette question.
Une dynamique qui isole l’Algérie
Difficile de faire abstraction de l’impact de ce basculement britannique sur l’autre grand acteur du dossier : l’Algérie. Ardemment opposée à toute solution viable et pragmatique, Alger se trouve de plus en plus isolée diplomatiquement. La position du Royaume-Uni, après celles de Washington, Paris et Madrid, laisse peu de place à l’ambiguïté : le plan d’autonomie est désormais la seule option crédible envisagée par les principales puissances. L’Algérie, principal architecte des pantins du Polisario, s’obstine dans une posture de blocage qui ne trompe plus une communauté internationale fatiguée par un conflit artificiel sans avenir, utilisé par les galonnés algériens comme levier de nuisance géopolitique.
L’échiquier maghrébin en recomposition
Ce réalignement du Royaume-Uni doit aussi être lu dans un contexte de recomposition régionale. L’Afrique du Nord n’est plus une périphérie de la diplomatie européenne. C’est un carrefour stratégique. La transition énergétique, les routes commerciales, les flux migratoires, les enjeux sécuritaires : tous ces éléments font du Maghreb un centre névralgique des équilibres géopolitiques. Dans ce contexte, le Maroc apparaît comme une plateforme incontournable, un Etat pivot dont la stabilité, les réformes et l’ouverture attirent les regards. En reconnaissant cette réalité, Londres inscrit sa politique africaine dans une logique d’efficacité et d’anticipation.
Vers une nouvelle ère bilatérale
Enfin, cette visite marque un tournant plus large dans les relations maroco-britanniques. Comme l’a souligné Nasser Bourita, elle ouvre une nouvelle ère de coopération multiforme : défense, sécurité, investissement, éducation, recherche. Quatre accords ont déjà été signés, et d’autres sont annoncés. Le Dialogue stratégique entre les deux pays prend une dimension nouvelle, plus ambitieuse, plus structurée. Le Maroc et le Royaume-Uni ne se contentent plus d’échanger, ils codessinent désormais une vision partagée.
La 5ème session de ce Dialogue stratégique, tenue dimanche à Rabat, a d’ailleurs constitué une opportunité pour les deux ministres d’échanger sur des questions d’intérêt commun et de réaffirmer leur engagement pour la poursuite du renforcement du dialogue politique et sécuritaire, l’approfondissement et la diversification du partenariat économique.
Lancé à Londres le 5 juillet 2018, ce Dialogue stratégique constitue un mécanisme important visant à consolider les liens historiques entre les deux Royaumes et à poursuivre le renforcement et l’approfondissement des relations bilatérales. Il s’articule autour de thématiques importantes pour la consolidation de la coopération bilatérale, à savoir le volet politique et sécuritaire, le volet économique, le volet humain et culturel, et porte également sur des questions aussi bien régionales et internationales que multilatérales.
Mehdi Ouassat
Comme à chaque avancée diplomatique marocaine, la mécanique algérienne s’est enclenchée, fidèle à sa partition millimétrée : indignation officielle, regret profond, et dénonciation en règle. La réaction d’Alger au soutien britannique au plan d’autonomie marocain n’a surpris personne. Mais ce qui frappe, au-delà des mots, c’est la répétition stérile d’un scénario diplomatique figé, comme une vieille pièce de théâtre dont l’acteur principal s’accroche à son rôle, bien que le rideau soit déjà tombé.
Le communiqué publié par le ministère algérien des Affaires étrangères suit une trame désormais connue : déplorer, dénoncer, contester. Une rhétorique creuse, recyclée, qui semble ignorer que le monde a changé et que la communauté internationale, lasse des postures idéologiques et des blocages, cherche des solutions concrètes. Il se trouve que le fait est là. Le Royaume-Uni a tout bonnement reconnu ce que de plus en plus de puissances internationales considèrent comme une évidence géopolitique. Le plan d’autonomie marocain est une base sérieuse, crédible et réaliste. Refuser de le reconnaître, c’est refuser d’avancer.
Mais Alger s’obstine. Elle évoque un supposé « manque de substance » du plan marocain, comme si 18 années de débats, de missions onusiennes et de soutien croissant des grandes puissances ne suffisaient pas à lui conférer du poids. Elle prétend défendre un « droit à l’autodétermination », tout en refusant toute alternative qui ne cadre pas avec ses propres intérêts géostratégiques. L’incohérence est flagrante, mais le régime algérien continue de se draper dans un discours de pureté révolutionnaire, qui sonne aujourd’hui comme un écho lointain d’une époque révolue.
La stratégie algérienne, fondée sur l’invective et la victimisation permanente, est de plus en plus en décalage avec les dynamiques régionales. Le monde n’est plus figé dans les certitudes de la guerre froide. Il exige des solutions, pas des slogans. Il attend des engagements, pas des lamentations. Et pendant qu’Alger s’accroche à ses dogmes, Rabat, elle, avance avec méthode, constance, et une diplomatie active fondée sur l’ouverture, le partenariat et le dialogue.
La réaction d’Alger à la position britannique est donc moins une protestation qu’un aveu. Celui d’un isolement grandissant. Celui d’un refus de lire les signaux du temps. Celui, enfin, d’un système diplomatique qui tourne à vide, prisonnier d’un narratif qui ne convainc plus que lui-même. Le monde, lui, regarde vers l’avenir. Et ce qui se dessine, avec le soutien de Londres, c’est une architecture régionale où le pragmatisme a pris le pas sur les postures idéologiques d’un passé révolu.
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