Le transport ferroviaire au Maroc débute au début du XXe siè cle, avec la construction de lignes re liant des centres économiques majeurs sous le protectorat français. En 1911, la première liaison ferro viaire entre Casablanca et Berrechid marque le début d’une série d’ex tensions importantes destinées principalement à faciliter l’exporta tion de matières premières et l’im portation de biens industriels. Le réseau s’étend progressivement vers Fès, Marrakech, Oujda et Tan ger, structurant ainsi le pays autour d’axes économiques stratégiques.
L’inauguration du premier gise ment de phosphate au Maroc en 1921 représente un jalon majeur dans l’histoire économique du pays sous le protectorat français. Prési dée par S.M, le Sultan Moulay Yous sef et le Maréchal Lyautey, Résident général de France au Maroc, cette célébration met en lumière la dé couverte du premier gisement ex ploitable à Khouribga, qui allait rapidement devenir l’une des prin cipales richesses stratégiques du Royaume.
Pour transporter le minerai jusqu’au port de Casablanca, une voie ferrée étroite dite « voie de 60 » (écartement de 60 cm) fut aména gée, reliant directement la mine à la côte. Bien que simple dans sa conception, ce tronçon ferroviaire constituait à l’époque une prouesse technique, permettant une évacua tion rapide vers la métropole. Plus qu’un simple moyen de transport, cet aménagement symbolisait le début de l’exploitation industrielle à grande échelle des ressources na turelles marocaines et l’installation d’une infrastructure logistique es sentielle au développement de l’économie coloniale.
En 1937, la mine de phosphate à ciel ouvert de Boujniba fut le théâtre d’une grève emblématique des ou vriers marocains, dénonçant les conditions de travail particulière ment rudes imposées par l’adminis tration coloniale. A cette époque, les wagons de minerai étaient encore tirés par des mulets sur des rails étroits, illustrant à la fois le caractère rudimentaire de l’infrastructure et la dureté du labeur. Cette mobilisa tion ouvrière a marqué une prise de conscience sociale dans les zones minières, où le transport ferroviaire, bien qu’essentiel à l’économie colo niale, se faisait au prix de l’exploita tion humaine et animale. Ce moment historique révèle l’envers du développement ferroviaire, sou vent présenté uniquement sous l’angle de la modernité et de l’effi cacité logistique.
A partir des années 1950 et après l’indépendance, l’Office national des chemins de fer (ONCF), créé en 1963, prend en charge la gestion et le développement du réseau. Le Maroc entre ainsi dans une dyna mique de modernisation constante du réseau ferroviaire, notamment avec l’introduction progressive de l’électrification dans les années 1980 et le renforcement des infrastruc tures ferroviaires, permettant de meilleures connexions régionales et nationales.
Il convient également de rappe ler que le transport ferroviaire a joué un rôle logistique et symbolique im portant lors de la Marche Verte en 1975, moment fondateur de l’unité territoriale du Royaume. Dans ce contexte historique, le train a servi de moyen de transport stratégique pour acheminer des milliers de vo lontaires depuis différentes régions du Maroc vers le sud du pays, dé montrant ainsi son importance dans la mobilisation nationale et la mise en œuvre rapide et coordonnée d’un des plus grands mouvements pacifiques du XXe siècle. Ce rôle a contribué à renforcer l’attachement des Marocains à leur territoire et a mis en lumière la fonction du rail comme outil de souveraineté, d’unité et de solidarité nationale.
En 2018, le Maroc franchit un nouveau cap historique avec l’inau guration d’Al Boraq, la première ligne à grande vitesse (TGV) d’Afrique reliant Casablanca à Tan ger, réduisant considérablement les temps de trajet et bouleversant positivement le paysage socioéconomique et cul turel du pays.
Ce projet ambitieux du Train à Grande Vitesse n’aurait pu voir le jour sans la vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI – que Dieu Le glorifie – dont les Hautes Orientations ont tracé la voie d’une modernisation profonde du trans port au Maroc. L’ONCF, sous la di rection dynamique de M. Rabii Lakhlii et avec l’implication active de M. Simohamed Semmouni, a su transformer cette vision Royale en réalité concrète. Leur professionna lisme, leur rigueur et leur sens de l’engagement ont permis de mener à bien ce chantier stratégique. Nous saluons également l’ensemble des directeurs de l’ONCF pour leur contribution exemplaire, qui té moigne d’une volonté collective de faire du TGV un véritable moteur de développement économique, so cial et culturel pour le pays.
Développement socioéconomique
Le TGV marocain, baptisé Al Boraq, constitue un levier majeur de développement socioéconomique pour le Royaume du Maroc. En ré duisant considérablement le temps de trajet entre Casablanca et Tanger, passant de près de cinq heures à seulement deux heures, cette inno vation technologique facilite gran dement la mobilité des individus, tout en augmentant l’efficacité des échanges commerciaux et profes sionnels entre ces deux grands pôles économiques.
La réduction drastique des temps de trajet a des implications directes et profondes sur le marché du travail, permettant aux profes sionnels de se déplacer quotidien nement avec facilité entre les grandes métropoles telles que Casa blanca, Rabat et Tanger. Cette amé lioration de l’accessibilité favorise non seulement la mobilité profes sionnelle, mais élargit aussi consi dérablement le bassin d’emploi, augmentant ainsi les opportunités économiques pour les travailleurs et les employeurs.
Des villes intermédiaires telles que Rabat et Kénitra, autrefois per çues principalement comme des zones de transit, bénéficient désor mais d’une dynamisation écono mique notable. L’arrivée du TGV Al Boraq a induit une augmentation si gnificative de l’intérêt des investis seurs nationaux et internationaux, attirés par la promesse d’une meil leure connectivité et de coûts de transport réduits. Cette situation engendre naturellement la création d’emplois locaux dans divers sec teurs comme l’industrie, les services et le commerce, contribuant ainsi au développement économique local.
Le transport rapide et fiable of fert par le TGV marocain est égale ment un facteur déterminant pour l’implantation d’entreprises techno logiques et industrielles tout au long du corridor ferroviaire. Ce phénomène a pour conséquence di recte l’émergence de véritables pôles économiques spécialisés. Tan ger, en particulier, a connu une transformation spectaculaire, s’im posant désormais comme un hub industriel incontournable grâce à la proximité du port Tanger Med, considéré comme le plus grand port d’Afrique en termes de volume de conteneurs. Tanger Med, renforcé par l’effi cacité logistique du TGV, attire des entreprises internationales ma jeures, notamment dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique, et de l’électronique. Cette dyna mique a non seulement stimulé l’emploi, mais elle aussi entraîné des retombées positives sur l’économie régionale à travers l’augmentation des exportations, l’accroissement des flux commerciaux, et le déve loppement de l’activité portuaire et logistique. En parallèle, la connexion à grande vitesse a stimulé le tourisme en facilitant les déplacements des touristes nationaux et internatio naux vers des destinations clés comme Tanger, célèbre pour son pa trimoine culturel et historique, et Casablanca, pôle économique et culturel majeur. La croissance du secteur touristique génère des béné fices économiques directs à travers l’hôtellerie, la restauration, et le commerce de détail, enrichissant davantage le tissu économique local.
Enfin, le développement socio économique induit par le TGV Al Boraq s’accompagne d’importantes retombées sociales telles que l’amé lioration du cadre de vie urbain, le désengorgement du trafic routier, et une réduction significative de la pollution atmosphérique grâce à la diminution de l’usage des véhicules particuliers. Ces effets positifs ren forcent l’attractivité des villes concernées, favorisant ainsi un dé veloppement socioéconomique du rable et équilibré pour l’ensemble du pays.
Impact culturel du transport ferroviaire rapide au Maroc
Le transport ferroviaire rapide, notamment le train à grande vitesse (TGV) Al Boraq, a profondément transformé la dynamique culturelle au Maroc, en facilitant de manière remarquable l’accès aux événe ments culturels et artistiques orga nisés dans les principales villes du Royaume. Cette innovation majeure a permis une réduction substan tielle des temps de déplacement entre des centres urbains straté giques tels que Casablanca, Rabat, Kénitra et Tanger, qui constituent des pôles économiques et culturels essentiels.
Cette réduction drastique du temps de trajet a eu pour effet immédiat d’encourager une participation plus fréquente et diversifiée des citoyens marocains aux différentes manifestations culturelles, qu’elles soient artistiques, lit téraires, musicales ou cinématogra phiques. Par exemple, des festivals de renom tels que le Festival international du film de Marrakech, le Festival Mawa zine de Rabat, ou encore les rencontres artistiques à Tanger bénéficient désor mais d’une affluence accrue, issue non seulement des populations locales mais également des visiteurs venant d’autres villes désormais facilement accessibles.
En outre, cette accessibilité accrue participe activement à la diffusion plus efficace des expressions culturelles lo cales. Les artistes locaux, auparavant souvent confinés à un public régional res treint, profitent désormais d’une visibilité beaucoup plus large, tant sur le plan na tional qu’international. Les expositions artistiques, spectacles théâtraux, concerts musicaux et autres événements culturels peuvent être mieux promus et attirent ainsi un public plus vaste et diversifié. Cela permet de valoriser le patrimoine culturel marocain tout en mettant en lu mière la créativité contemporaine émer gente.
Le TGV Al Boraq facilite également les échanges interculturels internes au Maroc, en permettant une circulation plus fluide et rapide des idées, des pra tiques artistiques et des traditions entre différentes régions du pays. Ainsi, les ci toyens sont davantage exposés à une di versité culturelle interne, renforçant leur compréhension et appréciation mutuelle. Cette dynamique favorise un brassage culturel enrichissant et un dialogue inter culturel permanent, participant à la consolidation d’une identité nationale à la fois diversifiée et cohérente.
Enfin, cette mobilité accrue participe indirectement à stimuler l’économie cul turelle locale. Avec l’augmentation du nombre de visiteurs aux événements cul turels, les retombées économiques se multiplient pour les secteurs connexes tels que le tourisme, l’hôtellerie, la restau ration et le commerce local. Ainsi, le dé veloppement du transport ferroviaire rapide constitue non seulement un levier culturel, mais également un moteur éco nomique, renforçant davantage l’attracti vité globale des villes concernées.
En conclusion, le transport ferroviaire rapide représente une véritable révolu tion pour le secteur culturel marocain, en amplifiant significativement la mobilité culturelle, en élargissant la visibilité des acteurs culturels et en stimulant les échanges interculturels internes. Ce pro grès remarquable contribue ainsi à ren forcer durablement la cohésion sociale et l’identité culturelle nationale du Maroc.
Essor touristique
Le secteur touristique marocain a connu une croissance remarquable de puis l’introduction du train à grande vi tesse. Cette infrastructure ferroviaire moderne, reliant les principales villes du Royaume, constitue un catalyseur puissant pour le développement touris tique, attirant aussi bien les visiteurs na tionaux qu’internationaux.
L’effet bénéfique du TGV sur le tou risme se manifeste tout particulièrement dans les grandes villes connectées telles que Tanger, Casablanca, Rabat et Marra kech. Tanger, par exemple, bénéficie d’un véritable boom touristique grâce à son accessibilité accrue. Autrefois distante et relativement isolée, elle est désormais fa cilement accessible depuis Casablanca en à peine deux heures. Cette facilité d’accès a encouragé les touristes à intégrer Tan ger dans leurs itinéraires, stimulant ainsi l’économie locale par l’augmentation des réservations d’hôtels, des visites de sites historiques et de la consommation dans les restaurants et les commerces.
Casablanca et Rabat connaissent éga lement un afflux significatif de visiteurs, en grande partie favorisé par le confort, la ponctualité et la rapidité offerts par le TGV. Les touristes, particulièrement ceux en provenance des pays européens, ap précient cette commodité qui leur permet d’optimiser leur séjour en visitant plu sieurs villes dans des délais très courts. Ainsi, les escapades urbaines de courte durée, les city-breaks, gagnent en popu larité, attirant des touristes souhaitant dé couvrir une diversité de paysages et de patrimoines culturels en seulement quelques jours.
Par ailleurs, le TGV joue un rôle cru cial dans la promotion du tourisme na tional. De nombreux citoyens marocains profitent de cette nouvelle mobilité pour explorer leur propre pays, favorisant ainsi un tourisme interne dynamique qui renforce l’identité culturelle et le senti ment d’appartenance nationale. Les week-ends prolongés et les séjours courts sont désormais plus faciles à organiser, encourageant un tourisme plus fréquent et diversifié.
Le tourisme d’affaires constitue un autre volet important des retombées éco nomiques positives du TGV. Grâce à la rapidité et à la fiabilité du réseau ferro viaire, le Maroc s’est imposé comme une destination de premier choix pour l’orga nisation de congrès, séminaires et événe ments internationaux. Des villes telles que Casablanca et Marrakech sont parti culièrement prisées pour ces activités, bé néficiant non seulement de l’attraction touristique traditionnelle mais aussi de la possibilité d’accueillir aisément des pro fessionnels venus du monde entier. La ra pidité du transport entre ces centres économiques facilite l’organisation logis tique des événements, améliorant ainsi leur attractivité.
Enfin, cette augmentation de l’activité touristique stimulée par le TGV a aussi des effets multiplicateurs sur d’autres secteurs économiques tels que l’artisanat, le commerce local et les services de res tauration. Les artisans locaux voient ainsi leur clientèle croître, tandis que les res taurants et les commerces bénéficient d’une fréquentation plus soutenue et ré gulière. En somme, l’introduction du TGV au Maroc représente bien plus qu’une simple innovation technologique : elle incarne un levier stratégique majeur pour un développement touristique du rable et diversifié, renforçant significati vement l’attractivité globale du pays.

Le TGV marocain, par ses effets mul tiplicateurs sur l’économie, la culture et le tourisme, représente un véritable tour nant stratégique dans l’histoire du déve loppement national. En consolidant l’intégration économique et sociale des régions qu’il traverse, il participe active ment à l’ambition marocaine d’émerger en tant que pays moderne, attractif et compétitif sur la scène internationale. Ce projet symbolise non seulement un pro grès technologique mais également un vecteur puissant de transformation socié tale.
Par Qamari Zouhair
Chercheur en sociologie
Commentaires
0