Pourquoi l'Algérie ne nous aime-t-elle pas ?

Pourquoi l'Algérie ne nous aime-t-elle pas ?
Anwarpress FR mardi 24 juin 2025 - 11:30
Cette question est-elle valable dans son absolu ? Bien sûr que non, car elle contient des exagérations, voire des exagérations intentionnelles…

Son but est de provoquer, de susciter une réflexion et une analyse plus approfondies. Elle implique également une autre question sous-jacente :

Qu’est-ce qui inquiète l’Algérie chez nous, les Marocains (l’Etat et la société) ?
Je commencerai par un incident qui a suscité ma réflexion en tant que citoyen marocain, que j’ai enregistré avec une certaine surprise et un étonnement fraternel pendant le mois de la Coupe du monde au Qatar (novembre 2022). Il s’agit de certaines positions dans lesquelles se sont glissées des élites algériennes de divers niveaux, manifestement gouvernées uniquement par l’instinct de « l’envie », qui, lorsqu’il submerge celui qui le possède, ne le pousse pas tant à la « créativité compétitive » qu’à la « stagnation négative » contre elles-mêmes et les autres.

Ce fut un véritable scandale à l’époque, venant des élites censées façonner l’opinion publique de notre pays frère, l’Algérie, signe de l’ampleur de la négativité de la « question marocaine » dans leur subconscient. La valeur sémantique (victoire sportive dans un forum international) acquise par la jeunesse marocaine grâce aux techniques d’une compétition sportive a malheureusement déclenché une énergie négative et provocatrice au sein de ces élites et a suscité une question inquiétante qui a pris de l’ampleur dans notre réflexion.
C’était une raison sérieuse de se poser une autre question : Connaissons-nous bien l’Algérie, nous les Marocains ?

Il s’agit d’une question de connaissance scientifique, et non de simple rhétorique.
En effet, il est important que nous, Marocains, nous interrogerions sur l’absence d’un «centre d’études maghrébines » comparable au « Centre d’études africaines » à Rabat.
Sur le plan académique, nous manquons d’une solide connaissance de la structure des sociétés mauritanienne, algérienne, tunisienne et libyenne. Nous ne disposons pas d’experts marocains des affaires algériennes qui produisent des connaissances qui, dans la logique de l’Etat, ne peuvent qu’être utiles à tout décideur politique.

En tout cas, on peut faire une observation préliminaire :

Quand on considère la question ci-dessus, le rapport de Mme Isabelle Werenfels, chef du département Afrique du Nord et Moyen-Orient à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (un institut officiel basé à Berlin), qui affirme implicitement l’intérêt (du Maghreb) à freiner la montée en puissance marocaine en Afrique de l’Ouest, a presque un sens explicatif.

En d’autres termes, comme cela avait été noté à l’époque, le rapport allemand semble presque parler au nom de l’Algérie (et, dans une moindre mesure, de la Tunisie). Autrement dit, de manière simpliste, compte tenu des lacunes institutionnelles qui entravent le processus de développement de l’Algérie pour des raisons internes, les autres voisins du Maghreb (en particulier le Maroc) doivent marquer une pause jusqu’à ce que la politique du gouvernement algérien se redresse, et que chacun puisse alors agir librement.
Il s’agit là, bien sûr, d’une explication absurde, si tant est qu’elle existe.

La réalité est que « le Maroc est devenu un problème pour la plupart des élites algériennes », les obligeant à prêter attention aux retombées que cette situation leur impose, pour laquelle on ne trouve d’explication convaincante que dans le domaine de la « psychologie », avec toutes les possibilités que cela ouvre (en l’absence d’attention et de vigilance dans un cadre national constructif) aux agendas transmaghrébins et transalgériens, alimentant ici et là le dynamisme de l’extrémisme et l’escalade.
 
Nécessité de comprendre la personnalité algérienne
 
Un haut responsable marocain m’a confié un jour avoir été choqué d’entendre un responsable algérien lui adresser ce conseil :

« Vous, les Marocains, vous ne nous comprenez pas, nous les Algériens. Ne nous répondez pas, même si nous avons tort. Ne nous dites pas que vous avez tort. C’est notre nature. Nous n’acceptons aucune critique».
Cela renforce une observation que j’ai faite à maintes reprises depuis plus de 40 ans : lorsqu’on rencontre un responsable algérien (qu’il soit encore au pouvoir ou non), il dit la vérité sur les droits territoriaux du Maroc, mais lorsqu’il fait une déclaration publique, il affirme exactement le contraire.
S’agit-il de peur du pouvoir du régime et de sa structure militaire sur place ?
Le problème est en réalité plus profond.

Nous devons comprendre analytiquement, en utilisant les outils de l’histoire et des sciences politiques, que ce que l’on peut décrire procéduralement comme la « communauté humaine algérienne », une entité naissante sous l’égide du « nationalisme algérien », vit un moment historique de transformation et de naissance, sans précédent depuis un siècle. C’est exactement comme une plante résistante qui s’efforce de percer le manteau terrestre et d’émerger au soleil de la vie, peut-être inconsciente du prix à payer. Naturellement, dans son bourgeonnement et son émergence, elle blesse la terre et est elle-même blessée.

Autrement dit, chaque naissance similaire, mesurée au rythme de l’histoire, porte son propre coût de douleur. La sagesse, dans de tels moments fondateurs, est que cette « communauté humaine », s’efforçant de mériter une « communauté nationale », comprenne que sa douleur est inhérente à la nature de la naissance et au mouvement de l’histoire, et non l’acte délibéré d’un acteur extérieur imaginaire.

Ce n’est pas un hasard si une constante centrale et troublante est toujours présente dans leur discours : la « Hoguera », avec tout ce que cela impose à l’esprit nationaliste algérien, comme devoir d’être conscient des pièges d’une telle « conscience misérable ». Comme si ce « Moi naissant » voyait le « Monde » comme un adversaire et non comme un partenaire, et c’est là une grande épreuve existentielle qui interroge l’intelligence de la « conscience nationale algérienne ».

Les élites dominantes restées en place pendant des années après la fondation de la Première République en 1962, sont régies par deux logiques centrales :

–      Premièrement, le triomphe de la conscience bédouine (culture), de la conscience paysanne (structure de production) et de l’identité traditionnelle (identité), grâce à la légitimité du combat de la libération, sur l’ensemble des élites politiques partisanes urbaines (conscience), commerciales et ouvrières (structure de production) et de la modernité (culture). Le vainqueur, qui a créé le pouvoir de toutes pièces pour le nouvel Etat, était l’armée, en tant que structure populaire de base, et non le mouvement politique national.
Si l’on voulait illustrer cela, on dirait que Houari Boumediene a triomphé de Messali El Hadj, Mohamed Aziz Guessous et Ferhat Abbas.
Autrement dit, une culture a triomphé d’une autre.

–      Deuxièmement, l’émergence d’une croyance en une «puissance régionale», fondée sur un discours de «légitimité libératrice» comme capital immatériel servant de passerelle pour asseoir une présence influente dans les calculs des relations internationales (pendant la Guerre froide, bien sûr), transformant l’« Etat naissant» en ce que les Algériens décrivaient comme «La Mecque des peuples libres du monde». Il en résulta un conflit naturel avec les ambitions légitimes de ses voisins régionaux, à l’est comme à l’ouest.

Il en résulta de tout cela la cristallisation de deux tendances internes à la Première République algérienne :

1)    L’orientation de l’élite dirigeante vers la construction d’un Etat, qui se perçoit comme doté d’une légitimité militante (le combat de la libération) lui conférant une tutelle absolue sur la société (le parti unique/l’opinion unique). Son rôle historique et moral, selon elle, est de « construire un modèle de développement par le haut », sous l’illusion d’une « conscience historique » inaccessible au grand public.
Ainsi, le pouvoir est devenu incapable de partenariat ou de partage avec quiconque (une importante thèse analytique sur ce sujet a été réalisée par le chercheur français René Galisseau il y a des années).

Les plans, qu’ils soient éducatifs, industriels, agricoles ou sécuritaires, sont émanés d’en haut, dont la plupart ont échoué dans la pratique, conduisant à l’émergence de figures marquantes dans ce domaine (l’exemple d’Abdel Salam Belaïd, l’architecte de l’aventure industrielle de l’Algérie, qui en est resté ministre pendant plus de dix ans, aboutissant à la publication de son célèbre ouvrage « Le Hasard et l’Histoire » en 1990).

2)    L’émergence d’une nouvelle génération de jeunes Algériens, dont l’éducation et la formation ont ouvert la voie à l’expression de soi à travers un discours de résistance (culturelle et identitaire), a engendré un fascinant paradoxe historique et sociologique, opposant deux courants : un courant marxiste-communiste (l’Union des étudiants algériens) et un courant fondamentaliste conservateur (aux influences fréristes, wahhabites et chiites ibadites, recoupant l’héritage des anciennes Zawiyas religieuses, dont les modèles les plus marquants étaient la région de Constantine à l’est et celle de Tlemcen à l’ouest).

Autrement dit, deux projets internes se sont cristallisés sur une période de trente ans environ (1962-1990) presque opposés : un projet d’autorité et un projet de société. Ce qui les unit est la conviction du « droit à une identité nationale algérienne », sans précédent dans l’histoire du pays, chacun à sa manière et avec son propre arsenal rhétorique expressif.
C’est l’affrontement entre les deux projets qui a conduit à ce que l’on a appelé la « Décennie noire » (1992-2002).

Il est important de revenir ici à de nombreuses références algériennes fiables pour comprendre le contexte de ces événements, notamment les écrits de l’éminent historien algérien Muhammad Harbi et ceux du Dr Abdel Hamid Brahimi (notamment son ouvrage « Sur les origines de la crise algérienne », publié par le Centre d’études sur l’unité arabe).
 
Le « nationalisme conflictuel » comme tendance algérienne
 
En science politique, on fait toujours référence à deux tendances majeures en gestion et en relations internationales : la logique d’hégémonie et la logique de partenariat.

Le choix de l’une ou l’autre découle de la culture politique émanant du décideur stratégique managérial de tel ou tel pays. Plus les régimes au pouvoir sont démocratiques, pluralistes, libéraux et respectueux des droits, plus ils prônent la logique de partenariat et de coopération. Plus les régimes au pouvoir sont totalitaires, militaristes et autoritaires, plus ils glissent vers la logique d’hégémonie.

La nature du pouvoir algérien, tel qu’il s’est établi depuis 1962, lui confère la certitude d’exercer son droit d’hégémonie dans sa sphère régionale. De fait, il déploie toute son intelligence pour expliquer cette tendance, tant au niveau du discours (victimisation et lutte) qu’au niveau de la gestion (politique des axes polarisés). Par conséquent, à moins que l’option institutionnelle démocratique ne prévale en République algérienne, la logique du partenariat ne pourra s’imposer au niveau régional au sein de sa structure dirigeante.
C’est là que réside le pessimisme inquiétant quant à la nature de l’autorité dirigeante du palais d’El Mouradia.

Il est donc légitime de se demander : Qui a changé dans notre contexte maghrébin et nord-africain : le Maroc ou l’Algérie ?

La réalité actuelle au Maghreb est que ce qui a changé, c’est le Maroc, qui a utilisé son intelligence nationale en interne pour remanier sa gestion institutionnelle, consolidant ainsi une transformation selon les termes d’un cahier des charges international, aligné sur la logique du marché mondial. Cette transformation a donné naissance à une sorte de «cadrage» pour le jeu politique institutionnel en son sein, qui a connu deux alternances gouvernementales majeures à ce jour et a renforcé l’éducation sociétale au changement par des méthodes de «paix sociale » et de « changement démocratique pacifique ».

Cela a été réalisé dans un horizon stratégique qui se traduit par un changement dans la « raison d’Etat », en pratiquant ce choix politique dans le cadre d’une « feuille de route » bien précise avec des points de départ et des niveaux de capacités définis, et une compréhension claire des objectifs atteints comme résultats, basée sur la logique d’un «raisonnement de l’Etat».

Ce changement marocain est un changement que le pouvoir algérien n’a pas encore accepté. Peut-être ne l’a-t-il pas compris ou refuse-t-il d’en assumer les conséquences concrètes.

Plus précisément, les élites de la Première République algérienne refusent de comprendre que la logique de l’histoire régionale a changé et qu’elles sont tenues d’opérer une transition intelligente pour instaurer la logique du partenariat dans notre région d’Afrique du Nord-Ouest.

Plus inquiétant encore, elles sont conscientes (les élites) que leurs intérêts nationaux suprêmes en tant qu’Etat, vus à travers le prisme de 1962, sont menacés, mais elles ne souhaitent pas réaliser cette transition en modifiant leur méthode de gestion et en adoptant un nouvel horizon stratégique.

L’enjeu aujourd’hui est de parvenir à un changement interne, au sein même de la structure de l’ « esprit de pouvoir » en Algérie. En réalité, le monde d’aujourd’hui est un monde de partenariat, et non d’hégémonie (régionale ou non régionale). Le Maroc a changé, le marché mondial a changé et les élites africaines ont évolué.

C’est au tour de l’Algérie d’évoluer avec le cours de l’histoire, devenant une nouvelle « entité nationale » inédite pour la « communauté humaine algérienne », car la menace la plus dangereuse qui pèse aujourd’hui sur elle est la « stagnation ».


Pourquoi l'Algérie ne nous aime-t-elle pas ?
Posons-nous l’autre question sérieuse : Les Algériens aiment-ils le Maroc et les Marocains ?
Oui, et en toute sincérité.
Ils sont convaincus que le seul rivage qui ne leur causera jamais de tort est le rivage marocain.

La balle est donc entre les mains de l’« esprit d’Etat » de la Première République algérienne, qui doit gagner la partie de l’espoir d’une région nord-africaine intégrée et participative.
Il n’y a aucune honte à apprendre les uns des autres. Toute transgression historique exige des sacrifices (ô combien nécessaires).

Par Lahcen Laassibi


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