- Une couverture sanitaire étendue… mais un système incapable de soigner
Le Maroc se félicite d’avoir porté la couverture médicale à 88% de sa population, soit plus de 32 millions d’assurés. Mais loin d’être un progrès réel, cette réussite statistique masque une régression profonde de la capacité du système de soins. La capacité hospitalière nationale ne dépasse pas 0,9 lit pour 1.000 habitants, alors que l’OMS fixe le seuil minimal à 3 lits et que la moyenne OCDE atteint 4,3.
La densité médicale demeure extrêmement faible : 7 médecins pour 10.000 habitants, bien en dessous de celles de la Tunisie (13), de l’Algérie (19) ou de la moyenne internationale. Le système public peine à absorber la demande : délais de trois à neuf mois pour un rendez-vous, urgences qui suffoquent, blocs opératoires paralysés par le manque de personnel et d’équipement.
Pire encore, les ménages financent 44 % des dépenses de santé de leur poche un taux comparable à celui des pays à système sanitaire fragile, loin de la norme internationale qui recommande de ne pas dépasser 20%. Ainsi, la couverture marocaine ne protège pas : elle administre un droit théorique dans un système qui ne garantit ni accès réel ni équité.
- Une réforme ambitieuse mais dévoyée : la loi-cadre 06.22 sans pilotage ni cohérence
La loi-cadre 06.22 devait être le socle du renouveau sanitaire. Mais sa mise en œuvre souffre d’un manque flagrant de pilotage. La Haute Autorité de santé n’a pas encore acquis le poids institutionnel nécessaire pour encadrer et évaluer la réforme. La carte sanitaire nationale, censée devenir un outil de régulation, n’a toujours pas été rendue obligatoire.
Les Groupements sanitaires territoriaux ont été lancés sans que leurs cadres juridiques, les moyens humains necessaires pour leur fonctionnement, tout comme leurs structures de gouvernance ne soient suffisamment définis. Dans les régions pilotes comme Tanger–Tétouan–Al Hoceima, les professionnels rapportent un déploiement improvisé, un manque de communication institutionnelle et un flou persistant quant aux statuts et carrières.
A l’international, les réformes réussies reposent sur trois piliers : une planification rigoureuse, une gouvernance forte et une évaluation indépendante. Aucun de ces piliers n’est aujourd’hui pleinement garanti au Maroc, ce qui explique pourquoi une réforme conçue pour réduire les inégalités territoriales finit par les reproduire, voire les accentuer.
- Un mutualisme vidé de sa substance : solidarité en théorie, financiarisation en pratique
La mutualisation devrait constituer le moteur de la solidarité sanitaire. Dans les pays avancés, elle renforce l’hôpital public, finance la prévention et réduit la charge financière sur les ménages. Au Maroc, elle s’éloigne progressivement de cette philosophie.
Les recettes de la MGPAP sont passées de 18 à 41 milliards de centimes en moins d’une décennie, mais cette croissance financière n’a pas produit d’impact social tangible. Plus de 90% des dépenses mutualistes sont absorbées par le secteur privé, laissant l’hôpital public sous-financé et affaibli.
La décision de fusionner les mutuelles au sein de la CNSS, présentée comme une avancée majeure, a uniformisé les structures administratives sans améliorer la qualité de service ni renforcer la solidarité réelle. Pire encore, le Registre social unifié conditionne désormais un droit constitutionnel à un score numérique, une pratique absente des Etats sociaux avancés. La logique d’universalité cède la place à une logique algorithmique d’éligibilité, qui risque d’exclure des citoyens vulnérables pour des raisons techniques ou administratives.
4. Un décrochage confirmé par les classements mondiaux : le Maroc recule là où les autres avancent
Les indicateurs internationaux confirment la dégradation.
L’indice HAQ (accès et qualité des soins) classe le Maroc à la 58ème place », loin derrière la Turquie (76), la Tunisie (68), l’Algérie (70) et très éloigné du Portugal (90).
La Banque mondiale classe le Maroc dans la catégorie «basse-moyenne», soulignant trois faiblesses majeures : une pénurie structurelle de ressources humaines et matérielles des inégalités territoriales criantes et une charge financière excessive supportée par les ménages.
Pendant que d’autres nations comparables progressent grâce à une planification stricte, un investissement massif et une gouvernance centralisée, le Maroc s’appuie excessivement sur la digitalisation comme substitut aux réformes structurelles.
Mais aucune transformation numérique, aussi avancée soit-elle, ne peut compenser l’absence de lits, de médecins, de budgets adéquats ou d’instances de régulation puissantes.
Conclusion : sans un service public fort, l’État social n’est qu’un décor
Si le Maroc aspire réellement à transformer la couverture médicale en protection sociale effective, il doit rompre avec la logique d’affichage et s’engager dans une refondation structurelle du système national de santé. Cela signifie :
Rendre la carte sanitaire obligatoire et contraignante
Renforcer massivement les ressources humaines
Réorienter une partie des ressources mutualistes vers l’hôpital public
Réguler strictement le secteur privé et sa tarification
Revoir équitablement le système du RSU (Registre social unifié)
Doter la Haute Autorité de santé de pouvoirs réels de contrôle, d’évaluation et de sanction
Sans ces mesures, la couverture médicale restera une façade sociale sans capacité opérationnelle. Avec elles, le Maroc pourra enfin aligner ses réformes sur les standards internationaux et garantir à ses citoyens un droit réel—et non simplement administratif—à la santé, conformément aux orientations Royales et aux fondements d’une justice sociale digne de ce nom.
Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’Union socialiste des forces populaires – Tétouan




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