On se souvient enfin de l’existence des veuves des tirailleurs marocains morts pour la France. D’une drôle de manière !

On se souvient enfin de l’existence des veuves des tirailleurs marocains morts pour la France. D’une drôle de manière !
Le directeur de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG) de Casablanca compte sur la générosité des Marocains pour résoudre le problème des veuves des combattants privées de pension militaire d’invalidité en raison de l’absence de carte de combattant de leurs défunts époux. En effet, et dans une publication sur Facebook qui a été rapidement retirée, le responsable français dont la mission se termine en 2025, compte participer au Grand Trail de la Vallée du Drâa « afin d’ouvrir une cagnotte qui servira à aider financièrement ces veuves d’anciens militaires de l’armée française non bénéficiaires des aides de l’Office », qui se trouvent, selon lui, « dans des situations d’urgence sociale et financière ». Les fonds réunis seront « redistribués aux plus nécessiteuses d’entre elles ».
 
Exclusion
 
Pour Omar Samaoli, gérontologue, « cette initiative paraît cependant comporter un risque, celui d’entériner une exclusion définitive de ces veuves de toute autre possibilité qui pourrait leur assurer des moyens de subsistance stables au nom des services rendus à la France par leurs défunts époux. De plus, si le motif de l’exclusion de ces veuves de toute aide de la France tient au fait que leurs défunts époux n’ont pas demandé la carte d’anciens combattants de leur vivant, cela semble, selon lui, un aspect administratif surmontable ».

En effet, ce problème de privation perdure depuis des années. Une question écrite du député  Kaltenbach Philippe (Hauts-de-Seine – Socialiste et républicain)  soumise en 2016 sur la situation des conjoints survivants des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie a déjà tiré l’attention du secrétaire d’État, auprès du ministre de la Défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire, sur la situation difficile de ces femmes. « En effet, si de leur vivant, leurs époux n’ont pas fait la demande de carte de ressortissants de l’Office national des anciens combattants (ONAC), elles ne peuvent pas en bénéficier.

De plus, les allocations allouées, principalement l’aide différentielle en faveur des conjoints survivants (ADCS), aux conjoints survivants des anciens combattants ne sont pas suffisantes pour leur permettre de bénéficier d’un revenu stable. La suppression du droit à la demi-part fiscale du conjoint survivant augmente plus encore leurs difficultés financières ».

C’est pourquoi Kaltenbach Philippe  a demandé au gouvernement « d’accorder la carte de ressortissants de l’ONAC aux veuves d’anciens combattants même quand leur époux ne l’ont pas demandée de leur vivant ». Il a souhaité également demander «si le gouvernement peut remplacer l’ADCS par une aide complémentaire et s’il peut rétablir le droit à la demi-part fiscale au conjoint survivant afin de garantir aux veuves des combattants un revenu stable ».

De son côté, le secrétaire d’État a insisté sur le fait que « les veuves d’anciens combattants, reconnues comme ressortissantes de l’ONAC-VG, bénéficient du soutien de cet organisme si leur mari détenait la carte de combattant ou une pension militaire d’invalidité », tout en indiquant que « ces aides sont principalement financières et ont été améliorées avec des critères basés sur la vulnérabilité, après une refonte de la politique sociale en 2015 ».
 
Austérité
 
Toutefois, un rapport du Sénat a révélé que face à la baisse du nombre de ses ressortissants, « l’ONACVG s’est engagé dans une trajectoire de réduction de ses moyens et effectifs. Ainsi, dans le cadre de son Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2020-2025 est prévue une réduction de 114 ETPT de son plafond d’emploi autorisé par la loi de Finances initiale pour 2018. Le plafond d’emploi doit ainsi évoluer de 878 ETPT en 2018 à 764 ETPT en 2025 ».

De la même manière «les dépenses prévues diminuent, passant de 120 millions d’euros (AE) en 2020 à 113 millions d’euros (AE) en 2025. Cette prévision a cependant été remise en cause par la loi de février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, qui a grandement augmenté les dépenses en faveur des harkis et rapatriés (49 millions d’euros de budget en 2022 contre 22 millions d’euros en 2021)».

A rappeler que «les veuves représentent en 2021, 680.000 ressortissantes. Leur nombre connaît également une érosion, qui est cependant beaucoup moins forte que celle qui affecte les anciens combattants. Selon le rapport du Contrôle général des armées du 15 avril 2021, cette moindre érosion devrait amener à ce que leur nombre dépasse celui des bénéficiaires de la retraite du combattant en 2024. Cela les ferait devenir la principale catégorie de ressortissants de l’ONACVG, jusqu’en 2040. Les titulaires de la carte de combattant ne bénéficiant pas de la retraite du combattant deviendraient alors le premier groupe de ressortissants de l’Office », indique ledit rapport. Et de préciser que « l’importance relative des veuves a pour conséquence : elles sont très susceptibles d’avoir recours à l’action sociale de l’ONACVG et de manière générale militent peu dans la vie associative ».
 
Responsabilité
 
Omar Samaoli estime, pour sa part, qu’il est important de considérer les choses sous un autre angle. « En janvier 2023, le gouvernement français a pris l’initiative d’accorder l’Allocation de solidarité aux personnes agées (ASPA), en principe conditionnée par l’obligation de résidence en France, à un groupe d’anciens tirailleurs sénégalais leur permettant ainsi de s’installer au Sénégal en levant ainsi la condition de résidence.
On pourrait imaginer un geste de même nature envers ces veuves, leur permettant également d’obtenir une prestation de réversion à titre exceptionnel et de leur assurer quelques moyens de subsistance durant leurs vieux jours », note-t-il. Et de poursuivre : « La responsabilité morale de la France vis-à-vis de ces veuves d’anciens militaires est pleine et entière et nous espérons qu’elle sera entendue ».

Hassan Bentaleb


De Monte Cassino à Bordeaux
 
Entre 1918 et 1939, un soldat sur quatre est originaire des colonies (Binoche-Guedra, 1992 : 265). Le Maroc, comme l’Algérie, la Tunisie et le Sénégal, a fourni en masse des hommes utilisés en première ligne pour épargner le sang français. La France a recruté 37.000 militaires marocains pendant la guerre de 1914-18 (Binoche-Guedra, 1992 : 165) et 35.600 pendant celle de 1939-45 (Recham, 1996 : 65). Parfois enrôlés de force, des milliers de Nord-Africains ont participé à la libération de la France sous les ordres des généraux Leclerc et de Lattre après que d’autres ont servi de chair à canon dans les campagnes antérieures de l’armée de la France Libre. Ainsi les tabors marocains participèrent avec succès en août 1943 à la campagne d’Italie, où la quatrième division marocaine de montagne contribua à la prise de l’emblématique Monte Cassino (Martel, 1994 : 199). Ils furent également mobilisés lors des guerres coloniales en Indochine et en Algérie et certains d’entre eux furent mêlés aux massacres coloniaux (Benot, 1994). À l’égard des anciens combattants issus de ses colonies, la France a adopté une attitude ambiguë. Elle a reconnu leur contribution à son histoire, contrairement au Royaume-Uni qui a supprimé toute pension aux soldats de l’ancien Empire. Toutefois au moment de la décolonisation, elle a reconsidéré sa dette vis-à-vis des anciens combattants en adoptant sur une proposition du général De Gaulle, la loi de cristallisation des pensions, loi instituant une inégalité qui perdure encore aujourd’hui.
Le 26 décembre 1959, le Parlement a approuvé la loi de Finances pour 1960. Sans obstacles, la décision a été prise à partir du premier janvier 1961, «les pensions, les rentes, ou allocations viagères dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l’Union Française ou à la Communauté ou ayant été placés, sous le protectorat ou la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation» (article 71 de la loi de Finances de I960). Pour les pays déjà indépendants, la loi prenait effet aussitôt et les montants des sommes versées étaient «cristallisés», bloqués au niveau atteint à la date de l’indépendance de leur pays. Aujourd’hui cela signifie par exemple pour les anciens combattants marocains ou tunisiens ayant servi quinze ans dans l’armée, une retraite ne dépassant pas 400 francs alors que pour un ancien combattant français, elle est de 2.500 francs. La pension d’invalidité à 100 % est en France de 4081 francs par mois tandis qu’un Marocain ou un Tunisien perçoit 500 francs (Dewitte, 1999 : 9). C’est cette inégalité qui est à l’origine de la présence des anciens combattants marocains à Bordeaux. À la fin de leur vie, ces hommes sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à venir sur le sol français.

Source : Djemila Zeneidi-Henry, « Anciens combattants marocains, construction d’une nouvelle catégorie de migrants », Revue européenne des migrations internationales, (Année 2001 17-1 pp. 177-188).