L’industrie minière occupe une place centrale dans l’histoire économique et sociale de nombreux pays. Depuis des siècles, elle structure les territoires, façonne les dynamiques sociales, mais elle reste marquée par des tensions persistantes autour des conditions de travail, de l’environnement et des droits humains.
A l’ère de la transition énergétique et de la traçabilité des chaînes de valeur, les attentes vis-à-vis des acteurs miniers — en particulier dans les pays émergents — sont plus fortes que jamais. La mine ne peut plus être un simple site d’extraction : elle devient un levier d’inclusion, d’innovation industrielle et de développement durable.
La mine ne peut plus être seulement un lieu d’extraction ;
elle doit devenir un territoire d’opportunité sociale et d’innovation industrielle durable.
C’est l’exemple qu’incarnent aujourd’hui les groupes marocains OCP et Managem, tous deux engagés dans une approche socialement responsable et écologiquement durable.
Au cœur de cette dynamique, le rôle stratégique des ressources minérales — notamment les métaux critiques — dans la transition énergétique mondiale repositionne la mine comme un levier incontournable pour construire des économies résilientes et inclusives.
Des traditions minières à la gouvernance des droits
Les premières réglementations minières visaient surtout la sécurité et la productivité, souvent sans prise en compte explicite de la dignité humaine. Pourtant, des sociétés musulmanes pré-modernes témoignent d’une tradition d’équité sociale dans le travail artisanal. Ibn Khaldoun, dans la Muqaddima, évoque déjà une répartition éthique du travail, y compris dans les métiers liés à la mine.
Au XXe siècle, le lien entre droit du travail et droits humains se formalise avec la création de l’Organisation internationale du travail (OIT) en 1919. Dans le secteur minier, les conventions n°81 (inspection du travail, 1947) et n°176 (sécurité dans les mines, 1995) restent des références.
Dans un Maroc à plusieurs vitesses,
il est essentiel d’articuler transition énergétique et justice sociale.
Depuis les années 1970, la communauté internationale a progressivement encadré l’activité des entreprises minières à travers une série d’initiatives multilatérales, qui visent à renforcer la transparence, les droits humains et la responsabilité environnementale. Parmi les principales références figurent :
• 1976 : Lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises multinationales
• 1997 : Création de l’ICMM (International Council on Mining and Metals)
• 2003 : Lancement de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives)
• 2011 : Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’Homme
• 2023–2024 : Adoption attendue de la directive européenne CSDDD sur la diligence raisonnable
Ces normes s’inscrivent dans l’Agenda 2030 des Nations unies, notamment :
• ODD 8 : Travail décent et croissance économique
• ODD 12 : Consommation et production responsables
• ODD 16 : Paix, justice et institutions efficaces
A l’horizon 2030, le droit minier international pourrait intégrer : des obligations plus strictes sur la chaîne de valeur, un élargissement des critères ESG à l’échelle mondiale, et une gouvernance plus ancrée dans les réalités locales. Pour les pays du Sud, cette transition normative est aussi une opportunité de souveraineté.
Le Maroc minier : entre héritage et mutations
L’exploitation minière au Maroc puise ses racines dans l’Antiquité, comme en témoignent les écrits d’Ibn Khaldoun évoquant les zones minières de l’Atlas et du Sud. Si cette activité s’est longtemps inscrite dans des dynamiques locales, la période coloniale a marqué une rupture en orientant massivement l’extraction vers l’exportation, souvent au détriment des garanties sociales et des droits des travailleurs.
L’indépendance ouvre une nouvelle ère. Le Code minier de 1951, structuré sous l’impulsion de feu Abderrahim Bouabid, traduit la volonté d’affirmer la souveraineté économique du pays sur ses ressources naturelles. Cette orientation est confortée par le Dahir du 15 décembre 1958 promulgué par Feu Mohammed V, qui reconnaît et protège les droits des artisans miniers, notamment dans les formes traditionnelles d’exploitation.
La transition énergétique ne peut se faire au détriment des territoires miniers. Elle doit au contraire les transformer en espaces de justice sociale et d’innovation locale.
Dans cette dynamique de construction institutionnelle, la création de l’ONAREP en 1972, puis sa fusion avec le BRPM en 2003, permettent de consolider les capacités techniques et administratives de l’Etat dans le domaine minier.
Sur le plan social, le statut du mineur, mis en place dans les années 1980 à la suite des mouvements sociaux de Jerada et Youssoufia, introduit des garanties en matière de conditions de travail et de protection, même si sa portée reste aujourd’hui à renforcer.
Les années 1990 inaugurent une nouvelle phase, marquée par une vague de privatisations qui reconfigurent profondément le secteur. Des acteurs nationaux comme Managem émergent, conjuguant ambition industrielle, ancrage territorial et responsabilité sociale.
Le Code minier de 2015 vient moderniser le cadre juridique, en intégrant des obligations environnementales et sociétales. Toutefois, la dimension sociale du texte reste l’objet de critiques et d’attentes fortes. Les mobilisations d’Imider (2011–2016) et de Jerada (2017–2018) témoignent de la persistance de tensions entre développement minier et justice territoriale.
Ce besoin d’un modèle plus équilibré trouve un écho dans l’évolution du groupe OCP, dont la trajectoire illustre les possibilités d’une transformation stratégique. D’un opérateur historiquement centré sur l’extraction de phosphate, l’OCP est devenu un acteur régional majeur de la sécurité alimentaire et de la coopération Sud-Sud, en investissant dans la transformation locale, la logistique intégrée et la valorisation à haute valeur ajoutée. Ce repositionnement offre un précédent inspirant pour d’autres filières minières marocaines, notamment dans les métaux critiques liés à la transition énergétique, où la création de chaînes de valeur intégrées et inclusives devient un impératif national. L’émergence de chaînes de valeur intégrées, depuis l’exploration jusqu’à la transformation locale, devient ainsi un impératif économique et géopolitique.
Dans ce contexte, le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences serait appelé à jouer un rôle central pour relier politiques minières, développement territorial et montée en compétences locales.
Transition énergétique : repositionner le secteur minier marocain
La transition énergétique, fondée sur le déploiement massif des énergies renouvelables, des véhicules électriques et des technologies de stockage, repose sur une demande croissante en métaux critiques tels que le cobalt, le cuivre, le lithium ou encore le nickel. Ces ressources, souvent issues de pays du Sud, replacent le secteur minier au cœur des enjeux géopolitiques, environnementaux et sociaux mondiaux. Le Maroc, par la diversité de son sous-sol et sa position géographique stratégique, est appelé à jouer un rôle structurant dans ces nouvelles chaînes de valeur.
Dans le contexte de la transition énergétique mondiale, le Maroc doit consolider son alignement avec les standards internationaux de diligence raisonnable. Les priorités actuelles incluent :
• L’encadrement juridique de l’exploitation artisanale (cobalt, sel, or)
• L’intégration des critères ESG dans les marchés publics et les projets extractifs
• L’implication effective des communautés locales (CLPE)
• L’harmonisation avec la législation européenne sur les chaînes de valeur critiques
Cette transition réglementaire doit impérativement intégrer une dimension sociale.

L’histoire des mines est indissociable de celle des droits humains. Le Maroc, fort de son patrimoine minier plurimillénaire, se trouve à un tournant décisif : valoriser ses ressources tout en garantissant inclusion sociale, protection des travailleurs et respect des standards internationaux.
Un nouveau pacte minier marocain est à inventer : fondé sur la souveraineté, la durabilité et l’équité. Ce nouveau pacte minier devra se construire avec les territoires, les communautés et les institutions, en conciliant ambitions industrielles, impératifs environnementaux et justice sociale.
Par Yassine Belkabir
Ingénieur de formation, fondateur du cabinet African Bureau of Mining Consultants et expert reconnu dans le secteur extractif africain
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