Lors de cette rencontre, animée par Mme Najat Zarari et organisée dans le cadre du programme culturel du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger au Salon international de l’édition et du livre de Rabat, les intervenantes ont affirmé que Mernissi portait un intérêt profond aux mutations sociales, notamment à la montée de l’extrémisme et de la violence chez les jeunes. Elles l’ont décrite comme une intellectuelle organique, mobilisant son savoir et son autorité symbolique au service des gens, en vue de les encadrer.
Plusieurs participantes ont également rappelé que l’autrice du livre « Le Harem politique » était dotée d’une intuition exceptionnelle, qui lui permettait de discerner les qualités les plus nobles chez autrui et de les valoriser, adoptant toujours une vision optimiste axée sur « le verre à moitié plein ».
Pour sa part, l’éditrice Leila Chaouni a déclaré que collaborer avec Fatema Mernissi à la publication de ses œuvres a été un honneur. Cette collaboration a contribué, selon elle, à démocratiser l’accès à la lecture et à la culture grâce à l’édition de versions populaires à prix réduit, destinées au public à revenu modeste. Elle a ajouté que, pour Mernissi, l’écriture était un outil de lutte pacifique et de changement, ce qu’elle a concrétisé en animant des ateliers d’écriture au profit d’étudiantes, étudiants et femmes au foyer. Elle a aussi activement soutenu la défunte Aïcha Chenna, militante pour les droits des mères célibataires, qui disait : «Je ne suis pas écrivaine, mais j’ai des choses à dire».
De son côté, la militante des droits humains Rabia Naciri a indiqué que Mernissi, qui refusait d’être glorifiée, avait décliné plusieurs propositions de distinction, notamment de la part de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM).
Mme Naciri a évoqué sa première rencontre avec Mernissi lors d’un colloque sur les femmes et l’éducation au début des années 1990, qui a marqué le commencement d’une longue collaboration. Elle a précisé que la sociologue a mis à profit ses relations pour aider les associations féminines, notamment en facilitant l’accès de l’ADFM à des partenariats avec des agences onusiennes à New York, où Mernissi jouissait d’une grande reconnaissance.
Elle a également témoigné de son engagement à encourager la création d’associations. J’ai personnellement été témoin de cette dynamique : en 1994, Fatema Mernissi nous a incités à fonder une association de jeunes et de femmes à la Faculté des lettres de l’Université Mohammed V. C’est ainsi qu’est née l’Association des jeunes et femmes en Méditerranée, que j’ai eu l’honneur de présider à sa création alors que j’étais encore étudiante. J’ai également eu la chance de participer aux ateliers d’écriture qu’elle organisait pour les jeunes et les femmes à cette époque.
Mme Naciri a ajouté que Mernissi insistait sans relâche sur l’importance de l’écriture comme vecteur de transformation, et qu’elle encourageait chacun à sortir de l’ombre pour prendre la parole. Elle a souligné la grandeur de son apport au mouvement féministe, et a exprimé sa gratitude pour l’intérêt que Mernissi avait porté à un rapport qu’elle avait rédigé pour la Ligue arabe sur la pauvreté et ses effets sur les femmes.
Pour sa part, Zakya Salime, professeure à l’université Rutgers aux Etats-Unis, a affirmé que la générosité intellectuelle de Fatema Mernissi était sans limites en déclarant : «Je lui dois énormément dans mon parcours académique. Grâce à elle, j’ai découvert des espaces et rencontré des personnes qui ont marqué ma vie scientifique».
Mme Salime a précisé que Mernissi soutenait les associations sans chercher à en diriger une, car elle refusait la logique du leadership hiérarchique. Elle était également soucieuse d’éviter toute reproduction du système du « harem », ce qui l’amenait à défendre la mixité et la diversité. Elle a relaté un épisode marquant survenu lors d’un colloque en Europe où les organisateurs avaient interdit l’entrée aux hommes. Mernissi avait alors fermement exigé qu’ils soient autorisés à y participer, refusant catégoriquement la séparation des genres qu’elle avait toujours combattue.
Mme Salime a également évoqué les prises de position éthiques et fermes de Mernissi, notamment son refus de se rendre aux Etats-Unis après l’invasion de l’Irak, un geste révélateur de sa fidélité à ses convictions.
En conclusion, Mme Salime a souligné que toutes celles et ceux qui ont côtoyé Fatema Mernissi ont ressenti un véritable sentiment d’orphelinage à sa disparition, tant elle faisait preuve de générosité et de bienveillance. Elle a plaidé pour une réécriture de l’histoire nationale mettant en lumière les contributions des femmes dans les événements majeurs.
Rabat .Youssef Lahlali
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