Ce qu'un accord climatique entre la Chine et l'UE pourrait apporter au monde

Ce qu'un accord climatique entre la Chine et l'UE pourrait apporter au monde
Anwarpress FR lundi 22 septembre 2025 - 11:00
Deux affirmations sont généralement formulées lorsque l’on parle de la Chine et du changement climatique. Premièrement, la Chine est le plus grand émetteur de gaz à effet  de serre au niveau planétaire, et poursuit la construction de nouvelles centrales électriques au charbon. Deuxièmement, la Chine est leader mondial dans le développement des technologies écologiques qui permettront à tous les pays de décarboner leur économie, pour un coût beaucoup moins élevé que ce qui semblait possible il y a encore cinq ou dix ans.

Ces deux affirmations sont exactes, et il est nécessaire que les politiques en Chine comme dans le reste du monde reflètent cette réalité. En 2022, la Chine a émis 15,7 gigatonnes de gaz à effet de serre, bien au-dessus des 6 gigatonnes et des 3,6 gigatonnes émises respectivement par les Etats-Unis et l’Union européenne. Les chiffres chinois en valeur absolue résultent bien entendu de la population beaucoup plus nombreuse du pays. Pour autant, les émissions chinoises par habitant (11 tonnes) sont très significativement supérieures aux émissions par habitant dans l’UE (8,1 tonnes) et au Royaume-Uni (6,3 tonnes), ces deux régions étant par ailleurs en bonne voie pour passer sous la barre des 2 tonnes d’ici 2040.

La Chine s’est engagée à atteindre le pic de ses émissions d’ici 2030, ainsi qu’à parvenir au zéro émission nette d’ici 2060. Cela signifie que ses émissions cumulées de dioxyde de carbone pourraient tout de même représenter près de 250 gigatonnes entre aujourd’hui et 2060 – contre respectivement environ 4,5 et 45 gigatonnes supplémentaires pour le Royaume-Uni et l’Union européenne. A elles seules, ces 250 gigatonnes épuiseraient une grande partie du «budget carbone» mondial restant, c’est-à-dire la quantité de CO2 pouvant encore être émise tout en maintenant le réchauffement climatique «bien en dessous de 2°C », comme convenu dans l’accord de Paris 2015 sur le climat. Autrement dit, les températures planétaires moyennes en 2100 dépendront dans une mesure considérable du chemin qu’aura parcouru la Chine, et très peu de ce qu’auront accompli l’UE et le Royaume-Uni.

Environ 5,9 gigatonnes d’émissions annuelles chinoises proviennent d’un système électrique qui demeure dominé par le charbon, sachant également que la Chine prévoit d’ajouter 280 gigawatts de capacité de production d’électricité à partir du charbon d’ici 2029. Par ailleurs, les émissions issues de ses industries colossales de l’acier et du ciment représentent plus de 50% du total mondial, bien qu’elles commencent à diminuer à mesure que décline l’activité du bâtiment en Chine.

D’un autre côté, la Chine est également leader mondial dans le développement de cinq technologies « vertes » essentielles – énergie solaire photovoltaïque, éoliennes, batteries, véhicules électriques et pompes à chaleur – dont le déploiement pourrait couvrir trois quarts de l’actuelle consommation mondiale de combustibles fossiles, et ainsi réduire les émissions liées à cette consommation. Les véhicules électriques représentent près de 50% des ventes de voitures aux particuliers en Chine, contre 23% dans l’UE, et un peu plus de 10% aux Etats-Unis. Par ailleurs, l’électricité répond à 32% de la demande énergétique finale du pays, contre 24% en Europe et aux Etats-Unis.

En 2024, la Chine a installé environ 400 gigawatts de capacité d’énergie solaire et éolienne, soit plus de la moitié du total mondial. Bien que sa capacité de production électrique au charbon continue d’augmenter, ces centrales sont de plus en plus utilisées comme sources d’appoint flexibles pour les énergies renouvelables, les émissions du secteur de l’électricité ayant diminué de 3% au premier trimestre 2025.

Le déploiement massif de technologies écologiques en Chine a considérablement réduit les coûts, et amélioré les performances. Les coûts de l’énergie solaire photovoltaïque par watt ont chuté de 90% en 15 ans, parallèlement à une augmentation des rendements de production. Les coûts des batteries par kilowattheure ont également diminué fortement, tandis que la densité énergétique et les vitesses de chargement n’ont cessé de progresser. Ces avancées permettent de réduire beaucoup plus rapidement les émissions, en Chine comme dans le reste du monde.

Les systèmes qui combinent le photovoltaïque et le stockage par batteries constituent d’ores et déjà le moyen le moins coûteux de fournir de l’électricité 24 heures sur 24 dans la majeure partie de la ceinture solaire mondiale. L’Afrique, en particulier, est désormais en mesure de contourner l’essentiel de l’étape des combustibles fossiles, et d’accroître ainsi rapidement sa capacité d’électricité écologique et bon marché afin d’alimenter sa croissance économique.

Dans un monde sans tensions géopolitiques, le leadership de la Chine en matière de technologies vertes serait accueilli comme une aubaine pour l’humanité. Compte tenu malheureusement des réalités politiques actuelles, ce leadership alimente davantage les craintes concernant l’emploi et la sécurité. Pire encore, les droits de douane et autres restrictions commerciales imposées en réponse à la domination manufacturière de la Chine pourraient faire augmenter le coût de la transition énergétique mondiale, et freiner le processus.

Une autre source de tension réside dans la capacité excédentaire de la Chine en ce qui concerne le fer et l’acier. Ces intrants essentiels étant encore produits selon des procédés à forte intensité de carbone, ils risquent de compromettre l’engagement de l’Europe consistant à décarboner son industrie lourde. Bien que le mécanisme européen d’ajustement aux frontières constitue une réponse justifiée à cette menace, la Chine l’a d’abord perçue comme une mesure protectionniste.

Ainsi, pour maintenir le réchauffement planétaire «bien en dessous de 2°C», il est nécessaire qu’une action coordonnée soit menée par tous les pays participant à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP30), qui se tiendra au Brésil. Les Etats-Unis ayant par ailleurs renoncé à leur leadership mondial – en particulier s’agissant du changement climatique – une coopération sino-européenne devient d’autant plus essentielle.

Dans ce contexte, il est nécessaire que les dirigeants chinois et européens se concentrent sur quatre priorités. Premièrement, la Chine doit se fixer des objectifs plus ambitieux en matière de réduction des émissions. Si elle ne le fait pas, les populistes européens qui déplorent le coût et l’inutilité des engagements climatiques obtiendront probablement encore davantage de soutien de la part des électeurs. Si en revanche la Chine revoit ses ambitions à la hausse, l’Europe devra renforcer ses propres objectifs et politiques à moyen terme, pour veiller à respecter ses engagements à long terme.

Deuxièmement, la Chine doit accomplir davantage pour décarboner son industrie lourde, en libérant l’innovation dans les secteurs de l’acier, du ciment et des produits chimiques. Cela nécessitera une augmentation régulière des prix du carbone dans tous les secteurs industriels, idéalement jusqu’à les faire se rapprocher des niveaux européens.

Troisièmement, l’Europe doit accueillir favorablement le leadership de la Chine dans le domaine des technologies vertes, en adoptant une approche factuelle des considérations de compétitivité et de sécurité. En phase avec les recommandations de la Commission sur les transitions énergétiques, cela signifierait s’ouvrir aux importations de produits présentant un risque minimal pour les emplois européens (tels que les panneaux solaires), ainsi qu’aux investissements chinois dans des secteurs tels que les batteries et les véhicules électriques.

Enfin, l’Europe et la Chine doivent coopérer avec d’autres Etats afin de libérer les flux financiers nécessaires à l’accélération de la croissance des énergies vertes en Afrique et dans les pays à revenu faible.
Le leadership chinois en matière de technologies vertes crée une opportunité que le monde ne peut se permettre de manquer. L’Europe doit travailler avec la Chine pour concrétiser ce potentiel.

 Par Adair Turner, président de la Commission des transitions énergétiques et ex-président de la Financial Services Authority du Royaume-Uni 


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