Echanger entre malades pour aller mieux

« Nous nous parlons d’égal à égal ». En avril 2023, Guillaume Carré, qui souffre d’un trouble psychique, a poussé les portes de la Maison Perchée, association parisienne de protection de la santé mentale non-médicalisée, pour pouvoir échanger sur sa pathologie avec d’autres malades.

« J’ai rejeté l’institution psychiatrique après des hospitalisations douloureuses. Au sein de l’association, il existe une entraide mutuelle entre membres, tes problèmes résonnent avec ceux des autres », témoigne-t-il auprès de l’AFP.

Ce principe d’entraide entre malades, baptisé pair-aidance, est expérimenté professionnellement depuis une dizaine d’années en France, avec l’introduction des médiateurs de santé pairs au sein de l’institution psychiatrique. Aujourd’hui, ils sont 162 au sein de structures hospitalières.

Fondée en 2020 par quatre personnes concernées par des maladies psychiques, la Maison Perchée est basée sur ce principe. L’association épaule les jeunes âgés de 18 à 40 ans vivant avec un trouble psychique, ainsi que leur entourage.

Elsa Decool, 41 ans, est bénévole à la Maison Perchée et médiatrice de santé pair au centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris. Diagnostiquée bipolaire en 2012, elle veut transmettre un « message d’espoir aux patients », montrer qu’elle « s’en est sortie », leur apprendre « à identifier leurs symptômes ». Son métier de pair-aidante l’a aidée à « accepter » son « passé », la « pathologie » et les « souffrances vécues ».

« Il existe une dizaine de pair-aidants professionnels à Sainte-Anne », explique Stéphane Cognon, médiateur de santé pair au centre hospitalier depuis cinq ans. « Le but est d’accompagner les patients pour les rendre autonomes, le tout de manière horizontale et non verticale comme cela peut se faire avec certains soignants », détaille-t-il.

« Etre écouté par un pair libère la parole des patients. On les accompagne sans les juger, alors qu’ils sont souvent infantilisés par l’institution psychiatrique et leurs proches, et stigmatisés par la société », ajoute Stéphane Cognon.

Cette méthode fondée sur un échange de vécus vise au « rétablissement, à savoir la promotion par les pairs-aidants d’un +vivre avec la maladie+ de qualité et qui ait du sens », souligne Eve Gardien, maître de conférences en sociologie à l’université Rennes 2.

« L’origine institutionnelle de la pair-aidance est récente, mais la pratique informelle date de plusieurs siècles », rappelle-t-elle. « Des pair-aidants ont été rémunérés pour la première fois en France en 2012, avec le programme Un chez soi d’abord, destiné aux personnes sans-abri souffrant de troubles psychiques », détaille-t-elle.

Cette pratique est également courante dans le champ des addictions, l’exemple le plus connu étant celui des Alcooliques Anonymes.
Pour se former, il existe actuellement deux licences en France, une à Paris, l’autre à Bordeaux ainsi que plusieurs DU (diplômes universitaires).

David Masson, psychiatre au centre psychothérapique de Nancy, travaille avec une pair-aidante depuis trois ans: « Elle facilite le processus de rétablissement, montre que c’est possible d’aller mieux », explique-t-il.

Mais cette collaboration lui a aussi permis de « réfléchir » à sa pratique. « La pair-aidante m’a par exemple fait comprendre que pour les patients, les entretiens avec le psychiatre n’étaient pas toujours évidents. C’est comme un trait d’union entre le patient et le professionnel », dit-il.

C’est « un outil complémentaire au savoir des soignants », confirme Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. S’il n’existe pas de statut officiel pour les médiateurs de santé pairs, ce dernier souhaite l’établissement d’un « cahier des charges » de la pratique.

Certaines équipes soignantes sont formées à l’accueil d’un pair-aidant, comme à Sainte-Anne, mais il faudrait « généraliser la formation au sein des hôpitaux » et que le « ministère de la Santé se réapproprie ce métier », assure encore Frank Bellivier.

Pour Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam (Union des familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques), « il faut qu’ils soient plus nombreux et aient un statut précis. On est encore au stade du bricolage, il n’y a pas de grille de salaire par exemple ».